Positive Leadership

[FR] Naviguer vers l'avenir (avec Bertrand Piccard)

February 14, 2024 Jean-Philippe Courtois Season 8 Episode 5
Positive Leadership
[FR] Naviguer vers l'avenir (avec Bertrand Piccard)
Show Notes Transcript

Dans l'épisode de cette semaine du podcast Positive Leadership, JP s'entretient avec le légendaire écologiste, pionnier de l'aviation et « hérétique » comme il se décrit lui-même, Bertrand Piccard.

Le tour du monde en ballon sans escale réalisé par Bertrand en 1999 a été le plus long jamais enregistré et c'est un défi qu'il relèvera bientôt, cette fois-ci à l'aide d'hydrogène.

Ensemble, ils explorent comment, en changeant notre vision du monde, nous pouvons créer notre propre avenir.

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 Jean-Philippe : Bonjour et bienvenue dans cette nouvelle édition de notre podcast Positive Leadership, le podcast qui vous aide à progresser en tant que personne, dirigeant, et enfin en tant que citoyen au sens le plus large du terme.  

 

Bertrand Piccard : Dans un ballon, tu lâches des sacs de sable ou des bouteilles de propane vide, etc. Et puis, tu monitores toute l'atmosphère, tu notes pour chaque altitude quelle direction tu as et quand tu as traversé l'atmosphère tu sais exactement à quelle altitude tu as telle direction et tu ramènes le ballon à cette altitude-là pour avoir la direction que tu veux. Dans la vie, c'est exactement la même chose en lâchant le lest de nos certitudes. Et tu deviens l'acteur de ton futur au lieu d'être la victime de ton passé.  

 

Jean-Philippe : Mon invité d'aujourd'hui, dans ce podcast, le psychiatre et aviateur de légende, Bertrand Piccard est un leader doublé d'un pionnier. Il a énormément à nous apprendre sur la nécessité de remettre en cause nos certitudes, de découvrir notre propre voie dans la vie et de savoir trouver de nouvelles stratégies d'innovation, de créativité et de gestion de crise. C'est cette attitude qui lui a permis de réaliser deux grandes premières aéronautiques. D'abord, son tour du monde en ballon sans escale qui a été le plus long jamais enregistré dans l'histoire de l'aviation à la fois en durée et en distance. Et puis, en 2016, il a réalisé une circumnavigation dans un avion à énergie solaire sans utiliser de carburant et en démontrant ainsi l'immense potentiel des énergies et des technologies renouvelables. Depuis, il a créé la fondation Solar Impulse. Cette fondation allie la science et l'esprit d'aventure de Bertrand pour proposer des solutions technologiques dans la réussite de la transition et la lutte contre le réchauffement climatique. J'avais vraiment très envie de discuter avec Bertrand pour voir comment dans nos métiers, notre façon de nous comporter et de réagir psychologiquement, philosophiquement et spirituellement, nous pouvions apprendre à changer d'altitude afin de devenir les pilotes de notre propre destinée, d'éviter les obstacles de la vie plutôt que d'en être les victimes. 

Donc, j'aimerais beaucoup commencer par le début, Bertrand, si tu es d'accord. Tu as dû avoir, je pense, une enfance assez extraordinaire. Ton père, Jacques Piccard, était un explorateur sous-marin et un écologiste avant l'heure. Ta maman, Marie Claude, était la fille d'un pasteur et une exploratrice, elle, de l'intérieur, une adepte de la psychologie, de la méditation, des philosophies orientales. Alors comment les passions et les activités de tes parents ont-elles influencé, Bertrand, ta façon de penser et t'orienter peut-être quelque part en grandissant ? 

 

Bertrand Piccard : En fait, ça m'a montré un spectre extrêmement vaste parce que d'un côté il y avait mon père, mon grand-père qui étaient scientifiques, pour qui la technologie était le but de leur recherche puis de l'autre côté il y avait ma mère qui était dans l’exploration du monde intérieur, dans la psychologie, dans la philosophie, dans la spiritualité, et longtemps, je me suis demandé dans quelle voie je devais moi-même m'engager. J'ai cru un peu bêtement que je devais choisir et quand on a un dilemme, il ne faut jamais choisir entre une possibilité ou l'autre, il faut en faire une troisième, il faut faire autrement, il faut mélanger les deux et je suis devenu psychiatre donc plutôt le côté philosophique, psychologique, mais avec cette dimension de recherche spirituelle, avec cette approche du monde intérieur, avec cette curiosité que m'avait appris mon père et mon grand-père, ce qui fait que j'ai un peu combiné ce côté psychiatrie, ce côté aviation, ce côté recherche, ce côté technologie, mais c'est vrai que quand je reviens de mes expéditions, de mes différents tours du monde, comme tu les as très bien racontés, je parle beaucoup plus du côté de l'expérience humaine et de l'émotion que de la technologie que j'ai utilisée pour réussir. 

 

Jean-Philippe : Est-ce que tu as senti peser, quelque part, sur tes épaules une forme d'obligation d'excellence, parce que je sais que ton père a quand même fait des choses assez extraordinaires, parce qu'il est allé au fin fond des océans pour commencer à porter un message et puis c'était un moment où il se passait plein de choses aussi, le départ également vers la lune, à un moment donné, qui a été réalisé par l'espèce humaine. Parle-nous un peu de ces moments-là et de ce fardeau ou pas peut-être qui n'a jamais été sur tes épaules, je ne sais pas. 

 

Bertrand Piccard : Alors, je dirais que c'était beaucoup plus une opportunité qu'un fardeau. Mon père m'a toujours dit, tu n'as pas besoin de suivre la voix familiale, fais ce que tu veux, mais fais-le bien et c'était plutôt cet esprit pionnier qui prévalait à la maison, de curiosité, de faire autre chose que ce qu'on a toujours appris, de montrer ce qui est possible quand les autres croient que c'est impossible. Alors, c'est vrai que les exemples que j'avais c'était mon grand-père qui avait fait la première expédition stratosphérique, le premier homme qui a vu la courbure de la Terre de ses propres yeux. Mon père a fait la première descente dans la fosse des Mariannes, donc le point le plus profond des océans avant de construire plusieurs autres sous-marins et un des sous-marins qu’il a construit était pour une société américaine qui fabriquait, par ailleurs, le module lunaire. Ce qui fait que ça nous a introduits à la NASA. J'ai passé deux ans de vie avec toute ma famille en Floride et j'ai vu décoller six fusées Apollo, rencontré la plupart des astronautes du programme spatial américain, les patrons de la NASA, etc., c’est-à-dire, en fait, des gens qui accomplissaient l'impossible. Mais ce qui était extraordinaire pour moi, c'est que je lisais leur récit dans des journaux, dans des livres et puis la semaine d'après je les rencontrais. 

 

Jean-Philippe : Tu les voyais, c'est quand même assez unique. 

 

Bertrand Piccard : Oui ! Donc, il n'y avait aucun fossé, aucun clivage entre la réalité et le rêve. Je me disais, mais on lit quelque chose, on en rêve, on se demande si c'est possible, puis on rencontre les gens après, puis on voit que c'est possible et ça, ça a complètement changé ma vie et ma manière de voir la vie, disons. 

 

Jean-Philippe : Et ça t'a plutôt même excité, j'imagine, ouvert des horizons, donné des envies, c'était à quel âge ? Tu avais quel âge à l'époque quand tu rencontrais ces astronautes ? 

 

Bertrand Piccard : Oui, j'avais entre 10 ans et 12 ans. Ce qui était extraordinaire et d'un autre côté,quand Neil Armstrong a marché sur la Lune, je me suis dit, mais tout a déjà été fait, je suis né trop tard, il n'y a plus rien à explorer. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Je voulais être un explorateur, mais l'avenir paraissait très bouché. 

 

Jean-Philippe : Donc,tu étais un peu en dépression à 12 ans sur les futurs défis, mais enfin rapidement tu en as trouvé d'autres. Peut-être juste une petite anecdote avant de quitter cette question, parce que je crois que c'est assez incroyable, parce qu'on revient régulièrement, que ce soit par des films, que ce soit par des rétrospectives sur finalement toute cette marche en avant vers l'espace, maintenant, on parle de Mars, etc.,des anecdotes peut-être qui t'ont marqué, vraiment, de ce récit, directement, des experts de la NASA ou des astronautes sur ce qu'ils étaient en train de réaliser, parce que c'est quand même quelque chose de tout à fait exceptionnel. Aujourd'hui, ça paraît très convenu, mais ça ne l’est pas du tout. 

 

Bertrand Piccard : Mais, tu sais, c'était quelque chose d'exceptionnel fait par des êtres humains qui n’étaient pas exceptionnels. 

 

Jean-Philippe : Qui étaient comme nous ! 

 

Bertrand Piccard : Mais c'était des gens…Mais oui, sauf qu'ils avaient une aspiration à réaliser leurs rêves, une persévérance, une qualité dans leurs prises de risque qui étaient extraordinaires. Mais c'est vrai que c'était des gens qui n'étaient pas du tout formés sur le plan psychologique. Quand j'ai demandé à Neil Armstrong, le premier à avoir marché sur la Lune, quelle était la préparation psychologique que la NASA leur avait donnée pour enfreindre le plus grand mythe de l'humanité qui était de marcher sur la Lune, il m'a regardé et m'a dit « Tiens ça,on ne m'a jamais demandé. » Et en fait, on n'a eu aucune préparation. Et quand on est revenu, on a été complètement débordés par l'effet planétaire de cette expédition. 

 

Jean-Philippe : Bien sûr, c’est assez incroyable… 

 

Bertrand Piccard : Et la NASA n'aimait pas du tout les gens qui avaient des émotions. Scott Carpenter, qui était l’un des astronautes du programme Mercury, qui est quelqu’un que j’aimais beaucoup, qui était venu à mon 12e anniversaire, un type adorable, il avait été exclu de la NASA, parce que pendant son vol orbital avec une capsule Mercury, il avait été tellement fasciné par ce qu'il voyait qu'il l'a raconté, il a dit « Mais c'est magnifique, c'est formidable, » et en fait, ça l'a un peu distrait et il a atterri à 400 km de l'endroit où on l'attendait donc sa mission était considérée comme un échec alors que pour moi, c'était celui qui était le plus humain, qui était au contraire le plus proche de l'état d'esprit qu'il fallait avoir, c'est-à-dire être un être humain et pas être une machine ou un automate. 

 

Jean-Philippe : Mais il fallait bannir ses émotions pour maîtriser le programme Apollo, j’imagine. 

 

Bertrand Piccard : Oui, absolument. 

 

Jean-Philippe : Alors Bertrand, tu es quelqu'un qui d'une part est très ouvert, évidemment, vers le monde extérieur, on commence à en parler déjà depuis ton enfance, sur l'environnement, la nature, mais aussi curieux du sens de la vie, du fonctionnement de l'être humain, ce qui se passe là dans notre cerveau, on en reparlera un petit peu plus tard. Souhaitant explorer plus profondément ce monde intérieur,tu es devenu médecin, psychiatre et aussi hypnothérapeute. Et bien avant que le terme résilience ne devienne à la mode, tu as écrit une thèse de doctorat, je crois, sur l'épreuve, une expérience d'apprentissage, une étude des aspects constructifs et révélateurs de la maladie, des accidents, et de l'infortune. Alors, je sais que c'est un très vieux souvenir, mais quelles en ont été tes principales conclusions que tu as peut-être réactualisées depuis le moment où tu as écrit cette thèse, en fait ? 

 

Bertrand Piccard : En fait, la souffrance humaine est quelque chose qui fait peur, qui me fait peur, qui terrorise tout le monde, en fait. Et j'essaye toujours de prendre les choses à l'envers et je me suis demandé s'il y avait dans la souffrance humaine aussi des aspects qui étaient positifs, qui étaient constructifs, qui étaient révélateurs d'autre chose. Et j'ai demandé, pour ma thèse de doctorat, à des êtres humains, des hommes, des femmes qui avaient vécu des choses épouvantables, de vrais drames dans leur vie, si ça les avait renforcés ou si ça les avait cassés. Et l'immense majorité a répondu que même si c'était horriblement difficile, ça les avait renforcés. Ils étaient ressortis plus forts, ils étaient ressortis plus ouverts dans leur relation avec les autres, dans leur relation à eux-mêmes et ils avaient abordé différemment le sens de la vie sur un plan spirituel que ce qu'ils avaient avant, qui était plutôt un plan matérialiste. Et j'ai trouvé ça passionnant, parce que ça nous permet vraiment de nous interroger sur ce qu'on cherche dans la vie. Si notre seul but c'est d'être heureux et riche et en bonne santé, eh bien chaque événement qui va contredire notre but va être un drame et on va être cassé de plus en plus par la vie jusqu'à n'être plus rien du tout. Alors que si on considère que la vie est un apprentissage permanent, que la crise est là pour nous forcer à développer de nouvelles compétences, de nouveaux outils, de nouveaux talents, eh bien à ce moment-là, les crises de la vie et toutes les infortunes ne vont pas être vécues de la même manière. Et ça, c'est très très important, je pense au niveau thérapeutique quand on est avec des patients, mais c'est très important pour une vie personnelle, pour une vie familiale, parce que la vie n'est jamais un long fleuve tranquille et il faut pouvoir intégrer de notre vision du monde toutes les contrariétés ou tous les drames. 

 

Jean-Philippe : Oui, je pense que c'est tellement juste ce que tu dis. Il y a le fameux ouvrage, évidemment, de Frankel sur sa philosophie de la vie qui est incroyable. 

 

Bertrand Piccard : Développé dans un camp de concentration, quand il était déporté. 

 

Jean-Philippe : Absolument.Et j'ai eu l'occasion dans mon podcast d’avoir plusieurs invités, j’en ai un qui me revient à l'instant en mémoire, qui s'appelle Mo Gawdat,qui est un homme qui a été dans la technologie comme moi, il a travaillé chez Microsoft, d'ailleurs et chez Google après et il a écrit…Il a perdu son fils, Mohamed, qui avait 20 et quelques années, et il a écrit un très beau livre qui s'appelle « Solve for Happiness, » qui est un peu suite à la perte de son fils, en fait, une leçon, réellement, sur l'équation de la joie, du bonheur, dans sa vie, et comment il a complètement découvert, finalement, cette équation après. C'est un des très beaux témoignages parmi d'autres que j'ai pu rencontrer en podcast. 

 

Bertrand Piccard : Excellent, je l'écouterai, alors. 

 

Jean-Philippe : Voilà, donc je résonne très bien à ce que tu me dis et je suppose à toutes les personnes à qui tu as pu parler. Alors, dans certains moments, tu t'es décrit comme un hérétique, Bertrand. 

 

Bertrand Piccard : Je me décris toujours comme un hérétique. 

 

Jean-Philippe : Alors, est-ce que tu peux décrire ou définir ce qu'est un hérétique ? Parce que chacun d'entre nous, on a peut-être une notion d'un hérétique qui est celui qu'on allait brûler il y a quelques siècles. 

 

Bertrand Piccard : Mais je pense que j'aurais été brûlé à l'époque. Aujourd'hui, heureusement on ne brûle plus les hérétiques et on les interviewe pour savoir pourquoi ils sont hérétiques, et ce qu'on peut en apprendre ? Ça a quand même évolué.Mais pour moi, l'hérésie, c'est le droit de choisir ce qu'on veut penser.Et j’aiété attiré par l'hérésie depuis toujours, l'hérésie cathare. 

 

Jean-Philippe : Oui. 

  

Bertrand Piccard : C'est extrêmement intéressant. C'est des sages qui recherchaient une plénitude, une sagesse, une bonté spirituelle, qui ont été écrasés, exterminés, torturés, brûlés par l'Église et par une croisade intérieure du roi de France sur l'Occitanie pour casser une autre manière de croire en Dieu. J'ai été fasciné par Aménophis IV, Akhénaton, qui est le pharaon de la 18e dynastie égyptienne qui a cassé le culte d'Amon qui était un culte polythéiste pour faire le premier culte monothéiste. 

 

Jean-Philippe : Monothéiste, ce qui était révolutionnaire. 

 

Bertrand Piccard : Ça s'est mal fini aussi. 

 

Jean-Philippe : Oui. 

 

Bertrand Piccard : Mais oui, mais ça s'est mal fini, parce que l'establishment a repris le pouvoir. 

 

Jean-Philippe : Bien sûr. 

 

Bertrand Piccard : Et je pense que chaque fois qu'on peut être hérétique pour essayer d'améliorer une situation, essayer de la comprendre autrement, essayer d'amener d'autres manières de penser, je pense qu'il faut le faire, c'est fondamental. 

 

Jean-Philippe : Donc, c'est vraiment une base fondamentale pour toi dans l'expression de ta liberté, de ta voix… 

 

Bertrand Piccard : Mais tu sais, ce qu'on voit, c'est que le plus souvent les solutions se trouvent tout à fait en dehors de ce qu'on imagine. Et par conséquent, quand on voit une situation qui est difficile à résoudre, souvent, le côté hérétique consiste à essayer de retourner la situation pour voir, mais comment est-ce qu'on peut considérer ça complètement autrement? Si ça ne va pas comme on a toujours fait, comment est-ce qu'on peut changer notre manière de penser, changer notre approche, changer notre vision du problème pour que finalement, on ait une solution complètement différente de ce qu'on imaginait au départ. 

 

Jean-Philippe : Ça, c'est une belle opportunité de créativité, de raisonnement quasiment par l'absurde, un petit peu, en renversant totalement la table des idées. On y reviendra. 

 

Bertrand Piccard : Non, non, mais attends Jean-Philippe, l'absurde, c'est de continuer à faire ce qu'on a toujours fait et s'étonner qu'on ait toujours le même résultat. Ça, c'était l’une des plus belles phrases d'Einstein. 

 

Jean-Philippe : C'est vrai, c'est une très belle citation. Dans ta quête d'aventure, Bertrand, tu t'es heurté, souvent, régulièrement, à des obstacles redoutables, physiques, techniques et autres. Et notamment, je pense, le vertige, peut-être, à un moment donné. Alors, tu as compris, très jeune, qu'il était important d'acquérir une solide confiance en toi et tu as voulu te tester rapidement et tu es devenu, d'ailleurs, je crois, l'un des premiers pionniers à l'époque…Je crois que tu étais parmi les premiers à voler sur un deltaplane. Et tu as raconté que le deltaplane était devenu une sorte, même, de thérapie pour toi. Une thérapie dangereuse, quand même, parce que tu as faillite tuer. C'était un des premiers deltaplanes. J’en souris, mais je pense que tu ne devais pas sourire à l'époque, parce que ton deltaplane s'est désintégré littéralement en plein vol. Alors, est-ce que tu peux nous raconter, d'abord, qu'est-ce qui s'est passé et les sensations que tu as pu vivre qui ont dû être rapides, incroyables et très uniques et en quoi ça t'a développé un peu cette conscience de toi et cette confiance en toi aussi. 

 

Bertrand Piccard : Tu sais, je voulais être un grand explorateur comme mon père et mon grand-père, j'avais peur de monter dans un arbre. Donc, c'était assez mal barré. Et quand j'avais 16 ans, j'ai été passé des vacances en famille à la montagne et le premier jour, je vois une aile delta qui atterrit. Je n’avais jamais vu une aile delta, c'était en 1974, il n’y avait pratiquement personne qui faisait cette activité-là à l'époque en Europe et je me suis dit, mais ça, c'est ce qu'il me faut. C'est l'intuition totale, tu sais. J'ai insisté auprès de mes parents, j'avais juste l'âge légal qu'il fallait c'est-à-dire 16 ans et j'ai commencé à voler. Et ce qui était extraordinaire, c'était de voir qu'on pouvait totalement dépasser sa peur, totalement transcender son vertige. Et pourquoi ? Parce que la peur, le vertige, l'angoisse, etc., c'est très souvent des projections dans le futur et pas du tout une manière de vivre l'instant présent. Or quand tu voles dans une situation qui est quand même rudimentaire et assez dangereuse où c'est ton corps qui te fait voler, c'est-à-dire quand tu mets ton corps à gauche, tu pars à gauche, quand tu pousses ton trapèze, ton poids recule et tu freines, quand tu tires tu accélères. Et donc, c'est vraiment une sensation physique dans l'instant présent. Et tu es obligé de faire juste, parce que sinon tu te plantes. Donc, ce que j'ai trouvé absolument extraordinaire, c'est cette obligation d'être concentré sur l'instant présent, de se sentir vivre à l'intérieur de cet instant, à l'intérieur de son corps et faire juste. Et tout à coup tout ce que me racontait ma mère sur les philosophies orientales, sur la conscience de l'instant présent, etc., ce qui pour moi était fascinant, mais théorique, tout à coup, je le vivais de manière totalement pratique. Et ça, ça a beaucoup changé mon approche au danger, mon approche à la vie, mon approche à la concentration. Tu sais, j'allais faire des loopings en aile delta, avant d'aller faire mes examens pour l'école ou pour l'université, pour me détendre.Quand j'arrivais et que je voyais tous mes copains qui étaient terrorisés et qui avaient le trac. Moi, j'avais fait mes loopings le soir avant au coucher du soleil, j'arrivais complètement détendu, je me disais, il n'y a rien de plus difficile que ce que je viens de faire, mes examens, ça va être hyper facile, hyper simple. Donc, ça m'a énormément apporté jusqu'à ce que mon aile éclate en l'air, parce que j'ai fait une erreur. 

 

Jean-Philippe : Ouah ! Et tu étais à quelle altitude, quelle condition ? 

 

Bertrand Piccard : Écoute, j'étais dans un meeting aérien, j'avais été remorqué par un ULM qui m'avait amené à 1200-1300 m, à peu près. J'avais la musique de Jonathan Livingstone qui passait dans les haut-parleurs du public au sol, j'avais des fumigènes et j'ai commencé mon programme de voltige, looping, looping, vrille d’un côté, vrille de l'autre et puis ensuite, je garde le piqué pour faire le looping suivant et là, l'aile est restée en piqué. Le profil s'est aplati… En fait, c'est une aile qui avait été assez mal conçue à la fabrication. Le constructeur n’avait pas vraiment compris comment la rendre autostable. Et le profil s'est aplati, je suis resté en piqué, ça a dépassé la vitesse à ne pas dépasser et l'aile a éclaté. Et là, j'avais le parachute de secours et j'ai mis 11 secondes à tirer le parachute, parce que j'étais emmêlé dans les câbles, j’avais des tubes qui me tapaient dans la figure, j'avais du sang partout, je ne voyais plus très bien où j'étais. J'étais centrifugé dans cette vrille et puis là, tout à coup, un moment de conscience où le temps s'arrête. J'avais l'impression que c'était plus moi qui tournais, c'était l'horizon qui tournait autour de moi. Là, j'ai trouvé la poignée de mon parachute, je l'ai lancé, j'ai tiré sur les sangles pour démêler le parachute qui s'était pris dans l'aile et puis là, le reste…Ça, c'était moi qui l’avais fait, le reste c'est l'ange gardien qui m'a fait atterrir dans un petit pré verdoyant entre une vigne où je me serais empalé, une ligne électrique, une route départementale et une forêt. 

 

Jean-Philippe : C'est incroyable ce moment, tel que tu le décris, de conscience totale qui t'a permis de prendre ton destin entre tes mains, de sauver ta vie, littéralement, parce que dans ta situation, peut-être que chacun ou chacune n'aurait pas eu la même réaction, je ne sais pas…En tout cas, tu étais bien préparé déjà à d'autres aventures et ça ne t’a pas arrêté. 

 

Bertrand Piccard : J’ai continué pendant deux ans, parce que je ne voulais pas m'arrêter sur un échec et puis je suis passé au ballon. 

 

Jean-Philippe : L'accident au cours duquel Bertrand a frôlé la mort avec son deltaplane paraît vraiment terrifiant et le fait qu'il ait réussi à survivre est une preuve de ses incroyables capacités. Il a su s'appuyer sur cette expérience pour en sortir plus fort. Un état d'esprit qui privilégie l'envie de progresser, nous incite à sortir de notre zone de confort. Nous devons être prêts à viser plus loin que ce qui est facile ou sans danger et nous lancer des défis. Qu'il s'agit de sports extrêmes, situation difficile dans notre vie privée ou au travail. Lorsque nous nous jetons dans ces aventures, nous sommes obligés d'être totalement présents et concentrés sur l'instant. Nous ne pouvons pas toujours maîtriser toutes les situations, bien entendu. Tenter de résister ou de lutter contre ce qui échappe à notre contrôle est une perte de temps et d'énergie. Mais si nous nous adaptons, si nous modifions notre façon de voir le monde pour changer l'approche, nous pouvons ouvrir de nouvelles voies et libérer de nouvelles chances. 

J'aimerais poursuivre un petit peu, on est toujours dans les airs, Bertrand, on a parlé du deltaplane, il est parti au sol, maistu es reparti dans les airs, notamment sur un ballon, des ballons, tu vas nous en parler un petit peu. Et avec le ballon, tu as souhaité, à un moment donné, faire un tour du monde, je crois même que tu as eu trois tentatives pour boucler ce fameux tour du monde et que tu t'es, là encore, écrasé deux fois, je crois, en mer, une à deux fois, peut-être une fois en mer et une fois peut-être ailleurs. Est-ce que tu peux nous raconter un peu l'un de tes crashs, là encore? 

 

Bertrand Piccard : Alors, écoute, ce n’était pas des crashs. 

 

Jean-Philippe : Ce n’était pas des crashs, OK. 

 

Bertrand Piccard : Non, là, ce n’était pas des crashs, c'était des échecs magistraux, mais pas des crashs. En fait, ce qui s'est passé, c'est qu’assez rapidement, le tour du monde en ballon sans escale est devenu à la fin du 20e siècle le dernier Graal de l'aviation. Beaucoup d’explorateurs s'y sont mis, de pilotes de ballons, d'aventuriers, Richard Branson, Steve Fossett, d’autreséquipes sponsorisées par d’énormes partenaires américains, etc. Et puis moi, j'étais le petit suisse, un peu, le David contre Goliath. Alors, Fossett a raté, Branson a raté, moi j'annonce que je vais réussir, je décolle le lendemain, je fais six heures de vol avant d'amerrir en Méditerranée, parce qu'en fait, il y avait une fuite de carburant et plein de vapeurs toxiques dans la capsule et j'ai dû atterrir, enfin amerrir. Comme il y avait un mistral énorme, la seule manière de le faire de manière sécurisée c'était d'amerrir sur la Méditerranée et pas dans la vallée du Rhône. Donc, perdu le matériel. Deuxième tentative, là, c'était plutôt géopolitique, parce que les Chinois n'avaient pas donnéd'autorisation et j'ai essayé de contourner la Chine par le sud dans des vents qui étaient beaucoup trop lents, donc j'étais à court de carburant au bout de neuf jours et j'ai atterri en Birmanie, mais là c'était un magnifique atterrissage. Ce n’était pas un crash. 

 

Jean-Philippe : Oui, ce n’est pas un crash, d'accord. 

 

Bertrand Piccard : Pendant ce temps, Fossett et Branson, Andy Elson, RE/MAX Team, etc., continuaient à essayer, Dick Rutan qui avait essayé, raté et j'ai réussi ma troisième tentative qui était la première fois qu'un ballon faisait le tour du monde sans escale. Donc, c'est vrai que ce que j'ai appris avec ces échecs, c'est qu'il faut toujours réessayer une fois de plus que de nombre d'échecs, mais toujours réessayer autrement. La plupart des échecs dans le tour du monde en ballon, dans les différentes tentatives, c'est que le ballon n'était pas suffisamment optimalisé, pas suffisamment isolé, consommait trop. Et la plupart des concurrents tombaient en panne de carburant avant la fin. Et moi, j'ai juste réussi, mais c'est un peu miraculeux, il faut dire, parce qu’au décollage, les ingénieurs ont dit, il y a 16 jours d'autonomie. Ils ont demandé au météorologue, est-ce qu'on peut faire le tour du monde en moins de 16 jours, avec les conditions actuelles. Le météorologue sentait que c'était le seul créneau possible pour partir et il a dit oui. Mais en fait, personne n’en savait rien. Donc, on est parti en se disant, on va voler 16 jours, au bout de 16 jours, on était sur le Mexique et on n'était pas à zéro. Sur le Mexique, il restait encore un huitième des réserves de gaz, mais le problème, c'est qu'il y avait encore un quart du tour du monde à faire. Donc, si tu regardes, statistiquement, tu calcules, tu vois, ça ne marche pas. Donc, tu fais quoi ? Tu t'arrêtes au Mexique de manière très sûre et pendant le reste de ta vie, tu te dis est-ce que j'ai bien fait d'atterrir ? Peut-être que ça aurait quand même passé. Et puis tu es obsédé par ça ou alors tu essayes. Et je me rappelle, j'étais avec Brian Jones qui était le copilote et je lui ai dit, Brian, tu es d'accord qu'on y aille ? La seule chose qu'on risque, c'est d'amerrir et d'attendre pendant 2 jours qu'on vienne nous chercher. Ce n’est pas grave. Et on était tous les deux d'accord. Le centre de contrôle nous appelle et nous dit, on est en train de calculer les réserves de carburant. On leur a dit, necalculez rien, on y va. Et on a attrapé un jet-stream de 234 km/h qui nous a fait traverser l'Atlantique en un jour et demi. Ce qui fait qu'on est arrivés ensuite en Égypte avec juste ce qu'il fallait. Il restait 40 kg de gaz liquide sur 3,7 tonnes. Mais cette relation au carburant, je me suis dit qu'elle était vraiment restrictive, c'était le facteur limitant. Et c'est là que j'ai commencé à rêver d'avoir un avion qui serait un avion solaire avec des moteurs électriques, des batteries qui se rechargeraient pendant la journée pour voler la nuit et de pouvoir voler comme ça, entre guillemets de manière perpétuelle sans limitation.  

 

 

Jean-Philippe : C'est vraiment là où est née cette idée ? 

 

Bertrand Piccard : C'est là que je me suis dit je vais le faire, parce que j'y pensais un petit peu déjà avant la troisième tentative. Après la deuxième où on était en panne de carburant en Birmanie, je me suis dit, ce serait quand même beau de faire ça en avion solaire. Et puis après Breitling Orbiter 3 je me suis dit, j'y vais, c'est vraiment la chose qu'il faut faire maintenant. 

 

Jean-Philippe : Alors, c'était vraiment, complètement, une idée folle à l'époque quand même. Et notamment, je crois savoir que tu annonces le projet lors d'une conférence de presse sur ce projet incroyable dont tu viens de parler àl’instant, avion solaire. Lors d'une conférence de presse avant même d'avoir réuni, je crois, l'argent, l'équipe, voire même la technologie et le comble,parce que je l'ai appris ensuite, tu vas en parler, c'est ce qu’il y a de plus savoureux, c'est que tu n'as même pas de licence de pilote d'avion. À l'époque, je crois que tu avais une licence de pilote de ballon. Donc, c'est quand même deux choses très différentes. Alors, est-ce que tu peux parler de ce moment incroyable, de bluff, j'allais dire, c'est du bluff quasiment où tu te présentes dans cette conférence de presse avec des médias du monde entier, Bertrand Piccard, pour annoncer ton projet. Et comment tu as survécu à ce moment ? 

 

Bertrand Piccard : Écoute, les gens qui étaient autour de moi, à l'école polytechnique fédérale de Lausanne qui avaient travaillé sur l'étude de faisabilité m'ont dit, mais tu es complètement fou de faire une conférence de presse maintenant, on n'a rien comme tu l'as dit. Pas d'équipe, pas d'argent, on ne sait pas comment construire l'avion. Et je leur ai dit, mais si on ne fait pas cette conférence de presse, il va se passer quoi ? On va se mettre dans un petit bureau, on va commencer à travailler, on va rencontrer des problèmes insolubles et comme personne ne sait qu'on essaye quelque chose, on va abandonner. Donc, il faut se mettre dans une situation où on ne pourra jamais abandonner. Il faut brûler les ponts derrière nous. Et là, ils m'ont regardé, ils m'ont dit, OK, on essaye. 

 

Jean-Philippe : Ils t'ont suivi quand même, donc ils ont suivi ! 

 

Bertrand Piccard : Ah oui, ils sont venus, ils ont participé à la conférence de presse et ça a été un coup majeur, parce qu'à partir de là, on était condamnés à continuer, condamnés à réussir. Et je crois que c'est ça qui a donné une certaine motivation à des ingénieurs qui sont venus nous rejoindre, à des partenaires qui nous ont aidés. Le premier gros partenaire c'est Solvay qui est venu. Ensuite, il y a eu un mécène, Éric Frémont, qui est venu, qui a payé les premiers salaires des gens de l'équipe, on a Altran qui a amené aussi des membres de l'équipe, mais on n'avait pas signé de contrat, ils avaient amené quatre personnes dans l'équipe, parce qu'ils savaient qu'on irait jusqu'au bout. Donc, finalement, ça avait un immense avantage de faire ça. Et puis, comme tu l'as dit, c'est vrai que je n’avais pas de licence de pilote d'avion, mais si j'avais eu une licence de pilote d'avion, j'aurais su que c'était impossible, donc je n’aurais pas essayé. 

 

Jean-Philippe : Tu ne l’aurais jamais fait. Non, c'est incroyable, c'est incroyable. Mais c'est un peu ce que les Américains appellent un peu le forcing-function. C'est le moment qui doit te forcer. Ah, et tu l'as sollicité, tu l'as créé ce moment. Et il a fallu combien de temps après cette conférence de presse pour le guider et pour arriver et démarrer, finalement, le décollage ? 

 

Bertrand Piccard : Alors, jusqu'au décollage du premier avion, ça a fait six ans. 

 

Jean-Philippe : Six ans entre la conférence de presse et ce moment-là ? 

 

Bertrand Piccard : Oui, et on avait compté qu'au bout de six ans, on ferait le tour du monde. 

 

Jean-Philippe : D'accord. 

 

Bertrand Piccard : Et au bout de six ans, on a fait le premier saut de puce de 500 mètres de long. Le projet a été deux fois plus long que ce qu'on croyait, quatre fois plus cher que ce qu'on croyait, mille fois plus difficile que ce qu'on croyait. Mais finalement, on a été encore mille fois plus heureux, un million de fois plus heureux de l'avoir réussi, parce que c'est vrai que quand on regarde derrière soi, on se dit qu'on a été tellement de fois à la limite de l'échec, à la limite de la faillite, à la limite des problèmes insolubles. Et puis ça a quand même marché.  

 

Jean-Philippe : Pour concrétiser un rêve qui semblait aussi fou, il a fallu réunir une équipe incroyable, au cœur de laquelle le partenariat entre André Borchberg et Bertrand Piccard a joué un rôle essentiel. André Borchberg est un pilote de chasse et ingénieur qui a relevé le défi technique, qui consistait à développer un avion solaire et à le faire voler. Il avait été embauché par l'École Polytechnique fédérale de Lausanne pour réaliser l'étude de faisabilité. Et dès que Bertrand l’a rencontré, il a su qu'ils pourraient faire ensemble un excellent travail. Pourquoi ? Leurs compétences étaient totalement différentes. Comme Bertrand l'a compris, bénéficier de compétences diverses présente de très nombreux avantages. En particulier, cela va booster l'innovation. Lorsque des collaborateurs qui ont des talents différents travaillent ensemble, ils vont apporter des idées et des points de vue différents. Ce qui va stimuler la créativité et va aider à résoudre les problèmes. C'est exactement ce qu'il leur fallait.  

Le 26 juillet 2016, après 14 mois de voyage et 550 heures dans les airs, ton avion Solar Impulse 2 avait accompli ce que beaucoup jugeaient totalement impossible, en fait. Parcourir 25 000 miles autour du monde, sur quatre continents, deux océans, trois mers sans une goutte de carburant liquide, les rayons du soleil fournissant la seule énergie de l'appareil. 

Alors ce projet, il a servi de tremplin au travail qui est incroyable, encore, que tu effectues aujourd'hui avec la Fondation Solar Impulse, que tu as créé en 2003, et elle vise, cette Fondation, à inspirer l'innovation dans le domaine des énergies renouvelables, des technologies propres et à encourager leur adoption, surtout, à plus grande échelle, trouver de vraies solutions. Alors, parle-nous un petit peu de la vision de cette Fondation que tu as créée il y a déjà une vingtaine d'années, en fait, et de ce que tu veux apporter au monde, finalement. 

 

Bertrand Piccard : Il faut se replacer 20 ans en arrière au début de Solar Impulse. L'énergie solaire était 40 fois plus chère qu'aujourd'hui. C'était considéré comme anecdotique. Les clean Tech, c'était des start-up microscopiques qui n'avaient pas voix au chapitre. Et puis tout le monde disait l'écologie c'est cher, ça va être sacrificiel, il faudra de la décroissance, on ne va pas pouvoir protéger l'environnement sans faire des sacrifices. Et moi, j'étais persuadé que la seule manière de faire de la protection de l'environnement, c'était de faire exactement le contraire. C'est-à-dire d'impliquer l'industrie, d'impliquer l'économie, d'impliquer la finance et de motiver tous ceux qui s'opposaient à l'écologie en leur montrant que c'était pas seulement pour la nature, c'était aussi pour eux. Et je remarquais bien que quand je rentrais de mes expéditions que je disais, la terre est belle, la nature est fragile, la vie est un miracle qu'il faut protéger, etc., ça faisait beaucoup d'applaudissements dans les conférences, mais ça ne changeait rien du tout. Rien du tout, parce que le langage de ceux qui décident de l'avenir du monde, c'est pas le langage de la compassion pour l'environnement, c'est le langage de la création d'emplois, sinon en tant que politicien, on n'est pas réélu, c'est le langage du profit et de la rentabilité parce que sinon comme CEO, on est viré et tout notre monde fonctionne de cette façon-là. Donc, il faut amener un langage qui ne soit pas un langage naïvement philosophique, mais un langage extrêmement pragmatique. Et c'est pour ça qu'après le succès de Solar Impulse, ce que j'ai donné comme but à la fondation, c'était de trouver plus de 1000 solutions pour protéger l'environnement, mais de manière économiquement rentable, parce qu'il fallait que ce soit quelque chose qui puisse séduire le monde économique et industriel, et également des solutions existantes aujourd'hui, le plus souvent des solutions de bon sens pour pouvoir aussi rendre ça attrayant pour les écologistes, pour qui les high-tech et la haute technologie future est souvent un alibi pour ne rien faire aujourd'hui et ils luttent contre le technosolutionnisme, je dirais à raison, parce qu'il faut utiliser les solutions d'aujourd'hui, plutôt que de croire que c'est l'avenir qui va nous sauver. Donc, je voulais vraiment réconcilier écologie et économie, là aussi, on m'a dit que ce serait impossible, qu'il n'y aurait jamais de solutions, que ce serait toujours trop cher, etc. Et au bout de trois ans, on a trouvé les mille premières solutions, aujourd'hui on est à 1600 de ces solutions, et c'est chaque fois des systèmes, des produits, des matériaux, des appareils, des processus, qui existent, c'est pas des vagues idées pour le futur, c'est économiquement rentable pour l'industrie qui les produits, c'est économiquement rentable pour ceux qui utilisent ces solutions, parce que ça rend leurs opérations plus efficientes, donc il y a une économie d'énergie, une économie de matière première, c'est des systèmes qui permettent de remettre la matière dans une économie circulaire, donc c'est de nouveaux débouchés, c'est des nouvelles opportunités de business, et finalement, il y a de quoi séduire tout le monde avec ça, la droite, parce que c'est du développement économique, et la gauche, parce que ça permet une solidarité plus grande avec ceux qui ont très peu de moyens, ça permet de donner de l'énergie moins chère et des qualités de vie meilleures à ceux qui sont démunis, donc finalement, je vois qu'à travers cette action, on peut vraiment réconcilier écologie et économie. Maintenant, pour être absolument clair, il faut encore réussir à réconcilier les écologistes et les industriels, parce que sur le plan humain, il y a encore un manque de confiance, mais sur le plan des solutions, il y en a pour plaire à tout le monde.  

 

Jean-Philippe : Comme toi, je suis aussi très centré, focalisé sur cette innovation positive qui existe chez des startups à impact, chez des entrepreneurs sociaux, côté scientifique également, et c'est quelque chose, je pense, de profondément important d'avoir des solutions innovantes et profitables pour la planète et pour les hommes. En discutant avec toi, il est clair, depuis le début de ce podcast, ensemble, cet épisode, tu es quelqu'un qui ne souhaite pas se trouver enfermé par des dilemmes, qui ne veut pas choisir entre deux camps, entre la croissance ou la décroissance, la carbonation ou la décarbonation, le plus souvent, tu ne veux pas choisir et donc tu trouves une voie alternative. Par exemple, en ce qui concerne la réduction de notre empreinte carbone. Tu ne parles pas d'ailleurs de décarboner notre environnement, mais tu parles plutôt de l'idée de moderniser notre société. Est-ce que tu peux expliciter cette modernisation et aussi, finalement, ton concept de résister, c'est la fameuse tyrannie du « ou. » Vous devez choisir le plan A ou le plan B, Bertrand. Qu'est-ce que vous allez faire ? 

 

Bertrand Piccard : Mais Goldman, Jean-Jacques Goldman, a une magnifique phrase à la fin de sa chanson, on est en 17 à Leidenstadt, il dit que la vie ou que Dieu nous préserve longtemps d'avoir à choisir un camp. Quand on doit choisir entre une chose et une autre, on sait qu'on rate une grande partie du tout. Il faut aller au-delà de ça et choisir une troisième voie ou refuser le choix. Aujourd'hui, décarboner ou carboner, mais la question pour moi n'est pas là. Croître ou décroître, la question n'est pas là. Il faut déjà définir qu'est-ce qu'on croît et qu'est-ce qu'on décroît. Si c'est décroître la pollution, décroître l'inefficience, décroître le gaspillage, décroître la démesure, oui, bien sûr. Mais décroître l'économie, bien sûr que non. Alors jusqu'à maintenant, on a un paradigme qui a fonctionné comme le couplage du développement économique avec l'utilisation de l'énergie fossile et la production de pollution et d'émissions de CO2. OK, jusqu'à maintenant, c'était comme ça. Ça ne veut pas dire que dorénavant, ça doit rester comme ça. Et ce qui est intéressant, c'est que grâce à toutes les nouvelles solutions techniques, dans les clean Tech, on peut devenir beaucoup plus efficient. Et si on devient plus efficient, on arrête de gaspiller et on va vendre de l'efficience au lieu de vendre de la quantité. Par conséquent, on va faire de l'argent sur ce qu'on économise, sur tout ce qu'on ne pollue pas, sur tout le remplacement de ce qui abîme l'environnement par ce qui protège l'environnement. Donc, on est dans un cercle vertueux à ce moment-là. Et ce qu'on appelle décarbonation qui fait peur à tout le monde, comme la décroissance, quand on dit qu'il faut décarboner, les gens se disent, ça y est, on va devoir faire des sacrifices, réduire notre confort, réduire notre mobilité, etc. Mais on peut le présenter autrement. Si on modernise, c'est-à-dire qu'on remplace ce qui pollue parce qui protège l'environnement, si on met toutes ces solutions en œuvre, on va enfin vivre dans un monde moderne qui arrête de gaspiller, qui arrête de polluer. Et ce monde moderne, il peut créer le consensus qu'on n'avait pas autour de la décarbonation. Et le vrai problème, aujourd'hui, il n'est pas que 5 % de la population mondiale vit trop bien. Ce n'est pas ça le problème. Le problème, c'est qu'on vit dans un monde qui est encore archaïque, démodé, obsolète, avec de vieux systèmes qui datent du début de l'ère pétrolière. Des moteurs thermiques. Un moteur thermique a besoin de 3 fois plus d'énergie pour faire le même kilométrage qu'un moteur électrique. On a des maisons mal isolées, on a des chauffages démodés, on a des processus industriels archaïques, dans le digital, il y a une débauche d'énergie colossale. On pourrait utiliser la chaleur des datacenters pour chauffer des villes. Il y a d’autres systèmes… 

 

Jean-Philippe : On commence à le faire. 

 

Bertrand Piccard : Enfin, après les avoir refroidis avec de l'air conditionné. C'est quand même fou de fabriquer du froid pour enlever du chaud. C'est fou. Il y a des systèmes maintenant. Une des solutions labellisées dans le digital que je trouve fantastique, c'est une solution qui permet d'économiser énormément d'énergie dans le stockage des données. Les données qu'on doit garder pendant 20 ans légalement, ça fait tourner des datacenters pour rien alors qu'il y a des systèmes maintenant qui permettent d'économiser, je crois, jusqu’à 90 % de l’énergie dans ces domaines-là. Donc, on voit à quel point il faut moderniser tout cela et quand on modernise, on devient vertueux et on devient beaucoup plus rentable, et on devient beaucoup plus écologique. 

 

Jean-Philippe : Oui, je te rejoins totalement dans ta vision des choses. La grande difficulté que tu connais très bien, mieux que tout autre et que l’on vit aussi, c’est finalement à la fois en termes d’investissement… C’est surtout en changement d’habitudes également de ces modèles, aussi bien pour le particulier, le citoyen, avec son foyer, ses habitudes de transport alimentaire, enfin tout ce qu'on connaît, je vois le compostage qui est introduit en France et encore d'une manière qui à mon avis n'est pas forcément optimale, on transpose ça au niveau d'une entreprise qui a également à faire des choix critiques en matière de son empreinte carbone, et puis au niveau d'un état, bien sûr, dans sa politique environnementale, intégrée à ses choix économiques et budgétaires. Je m'arrête là parce que c'est des gros débats, mais finalement, quand on regarde ce qui se passe dans l'actualité, Bertrand, l'année 2023 continue, oh surprise, j’allais dire, elle est marquée par des événements météorologiques extrêmes au cours desquels chacun commence à vivre ou voir de nombreux records climatiques qui ont été battus, et la question se pose effectivement de savoir comment limiter le changement climatique à venir et s'y préparer. Tu as participé récemment à la fameuse COP28, on en est à la 28e à Dubaï, et pour la première fois, les pays se sont mis d'accord sur la nécessité d'opérer une transition pour abandonner les combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques. Le texte demande que cela se fasse de manière juste, ordonnée et équitable, cependant, me semble-t-il, l'accord n'oblige pas les pays à prendre des mesures et aucun calendrier n'a été spécifié. Alors, quel est ton bilan à toi de la COP28 ? Et comment va-t-on rechercher ces solutions au niveau de la gouvernance mondiale de notre planète ?  

 

Bertrand Piccard : Il y a beaucoup de gens qui hurlaient au boycott contre la COP28, parce qu'elle était dans un pays pétrolier dirigé par le président d'une compagnie pétrolière. Mais en fait, ce président d’une compagnie pétrolière, c'est aussi le patron de Mazdar, qui est une des plus grandes sociétés d'investissement dans les énergies renouvelables. C'est un type qui sait que le renouvelable devient moins cher que le pétrole et même moins cher que le gaz. Et par conséquent, il avait les mots justes pour s'adresser aux autres producteurs de pétrole. Et moi, j'étais sûr que cette COP serait beaucoup plus intéressante que les autres. 

 

Jean-Philippe : De ce fait ? 

 

Bertrand Piccard : Et j'ai écrit avant la COP en disant, moi, je ne boycotte pas, j'irai et je mise sur un succès. Et c'est la COP, à part celle de Paris, qui a mis des buts très ambitieux. Eh bien, la COP 28 de Dubaï est la première COP qui a mis les manières d'atteindre ces buts. Et c'est la première qui parle de transitionner hors des énergies fossiles. 

 

Jean-Philippe : Oui, c’est ce qu’il fallait faire. C’était pas acquis. 

 

Bertrand Piccard : Mais il faut voir la réalité des choses. Quand il y a une vingtaine ou une trentaine de ministres de 20 ou 30 pays dont tout le PIB dépend du pétrole et qui sont d'accord de signer un engagement pour transitionner hors des énergies fossiles, c'est un succès absolument extraordinaire. Qu'on arrête de couper les cheveux en quatre, c'est extraordinaire. Alors maintenant, bien sûr que c'est pas marqué que l'année prochaine, ils devront faire 5 % de moins, puis ensuite 10 % de moins, etc. Mais ça donne quel message ? Ça donne le message qu'il faut arrêter d'investir dans le pétrole, parce que c'est condamné, parce que c'est des actifs pourris. On peut spéculer sur le pétrole encore quelques années, mais on peut pas investir sur du long terme. C'est des actifs pourris. Le renouvelable est beaucoup moins cher que le fossile dans presque tous les pays du monde. L'efficience énergétique, qui est spécifiée dans la déclaration finale de la COP28 de Dubaï, l'efficience énergétique, c'est là où il faut investir. C'est là où on va pouvoir diminuer la consommation. Alors, demander aux pétroliers de produire moins, c'est très hypocrite, pendant que nous, on continue à consommer autant. Et évidemment, ils ne peuvent pas produire moins si nous, on consomme autant. Donc, ça nous rappelle aussi à notre rôle de consommateur d'arrêter de consommer du pétrole. C'est nous qui polluons, c'est pas les pétroliers, c'est nous qui consommons ce pétrole et qui le brûlons. Pas conséquent, passons au véhicule électrique, passons aux pompes à chaleur, isolons les bâtiments, modernisons les processus industriels, les processus de la finance, etc. Et là, on aura un monde moderne qui n'aura plus besoin de pétrole et qui se sera diversifié dans d'autres sources d'énergie et dans d'autres technologies.  

 

Jean-Philippe : Je vois que tu es vraiment un optimiste, Bertrand. Je le suis aussi, j'ai tendance à être optimiste. Même si comme toi, je sais que le diable se cache dans les détails et que les vies démocratiques ou politiques de chacun des pays du monde et des entreprises sont des vies compliquées, sont des décisions à prendre aussi. Mais ce qui est rassurant quelque part, c'est qu’avec ta fondation, notamment, et au-delà de ta fondation, bien sûr, il y a beaucoup d'acteurs qui participent avec des solutions d'efficience. Effectivement, elles existent. Après, il faut avoir le courage politique, le courage individuel aussi pour chacun de les mettre en œuvre. J'aimerais qu'on change pour les dix dernières minutes de notre conversation, Bertrand, de registre et qu'on parle, en fait, de ta philosophie, de leadership et philosophie de vie. On a commencé un tout petit peu à en parler, quand même, dans plusieurs questions. Et notamment, en lisant ton livre très intéressant, Changer d'altitude, tu écris,nous ne changerons jamais la direction des courants aériens ni celles des vents de la vie et nous pouvons à chaque instant changer d'altitude pour nous en libérer et trouver une meilleure trajectoire. Changer le niveau de compréhension afin de dépasser nos peurs, afin de découvrir d'autres façons de penser et de se comporter, d'autres explications et d'autres manières de percevoir la cause et même le sens de ce qui nous arrive. Comprendre ce que nous avons à faire de notre passage sur Terre. Alors Bertrand, comment change-t-on d'altitude dans sa vie ? Pas dans un ballon, mais dans sa vie.  

 

Bertrand Piccard : En lâchant le lest de nos certitudes. 

 

Jean-Philippe : Ah ! Le lest des certitudes. Explicite un petit peu. 

 

Bertrand Piccard : Dans la vie, tu dois lâcher le lest de tes certitudes, de tes croyances, de tes habitudes, de tes convictions, tes points d'exclamation, tes dogmes, etc. Et puis, ça te permet d'avoir accès à d'autres influences, à d'autres visions du monde, à d'autres stratégies, à d'autres solutions, d'autres réponses, qui te montrent d'autres directions. Et puis ensuite, tu regardes si cette direction-là te convient ou pas. 

Tu peux vouloir travailler beaucoup pour être très riche, ça va te donner une trajectoire dans ta vie. Tu te dis, moi, je préférerais être baba cool, pas travailler trop, avoir une vie plus libre. C'est une autre trajectoire. C'est-à-dire que tu as l'avenir en trois dimensions et tu sais ce qu'il faut faire pour arriver à quoi. Et ensuite, tu décides. Tu décides ce que tu veux et puis tu essayes. Et puis si ça ne va pas, parce que tu n'aimes pas, tu te dis non, ce n’est pas comme ça que j'aimerais vivre. Tu relâches un peu de lest, tu rechanges d’altitude mentalement et puis tu essayes une autre attitude dans la nouvelle altitude qui t'offre une autre direction. Et puis tu choisis. Et en fait, la vie, comme ça, devient un feu d'artifice. Tu as des trajectoires absolument partout et tu décides laquelle tu veux prendre. Et je trouve que ça donne une immense liberté de voir la vie comme ça.  

 

Jean-Philippe : J'aime particulièrement ce sens du possible et cet optimisme qui se dégage de la métaphore de Bertrand. L'idée que depuis une mongolfière, on peut voir toutes ces trajectoires, tous ces chemins de vie différents qui s'offrent à nous et que nous pouvons suivre à condition de décider. Lâcher du lest et changer d'altitude pour vivre une vie différente. Une autre vie. Quand on veut. Il est important d'avoir une vision claire de notre trajectoire dans la vie. Et choisir cette trajectoire peut donner un sentiment d'autonomie. Mais la philosophie de Bertrand nous rappelle que cette trajectoire peut changer et que ce n'est pas la seule possible. Elle nous rappelle aussi que c'est nous qui tenons le gouvernail de nos vies et que décider de changer de cap peut être un choix positif.  

J'ai eu dans l'un de mes épisodes quelqu'un qui avait beaucoup discuté, écrit là-dessus, une neuroscientifique qui s'appelle Dr Tara Swart au Royaume-Uni. Et elle a notamment, dans l'une de ces techniques qu'elle utilise, alors très simple, au demeurant, qui semble simple, qui est simple d'ailleurs, qui est le visioning qui est en fait de peindre, littéralement, ou dessiner, en fait, sur une grande feuille de papier, la vision qu'on a de soi, de son futur, des choses qui vont illuminer sa vie, des choses qui vont faire qu'on va se réaliser. D’autres diraient peut-être réaliser sa mission personnelle aussi. Voilà. Elle, elle a cette technique-là, alors après elle change un peu, chaque année, je sais pas tous les combien, un peu le décor de cette affiche. Toi, tu lâches du lest et tu remontes et tu descends en fonction de là où tu veux mener ta vie, surtout.  

 

Bertrand Piccard : Oui, et ce que je remarque qui est très important, c'est qu'il faut arriver à identifier les certitudes et les convictions que nous avons et les battre en brèche, parce que c'est ça qui nous maintient sur une altitude constante et donc une direction constante et ce n’est pas nous qui allons changer la vie. Nous, on va pas changer la vie. On peut changer que notre manière d'utiliser la vie. Et chaque fois qu'on est bloqué sur une seule manière de voir les choses, on est prisonnier de la vie. Chaque fois qu'on arrive…Et on revient au début de l'émission…Dès qu'on devient hérétique, c'est-à-dire qu'on se donne le droit de choisir ce qu'on veut penser et ce qu'on veut faire, à ce moment-là,on a une liberté totale d'aller dans toutes les directions possibles. Et puis ensuite, on trouvera de cette manière-là beaucoup plus facilement celle qui nous convient, parce que, qu'on s'entende bien, on va pas trouver tout de suite, par miracle, celle qu'il faut, on va essayer et tu sais, moi avant de faire de l’aile delta, je m’étais dit, je vais faire du judo, parce que ça, peut-être que ça va me permettre de transcender un peu ma peur, ma timidité, etc. J'ai raté la première ceinture, la plus basse, celle qui est juste au-dessus de la blanche.  

 

Jean-Philippe : La jaune ? 

 

Bertrand Piccard : Non, mais avant la jaune, je crois qu'il y en a une où il y a une blanche avec une petite ligne jaune, enfin un tout petit truc minable que j'ai raté magistralement, je me suis dit OK, c'est peut-être pas là que je suis le meilleur. J'ai commencé l’aile delta et c'est là que ça a marché. 

 

Jean-Philippe : C’est là que ça a marché, d'accord. 

 

Bertrand Piccard : Tu vois, il faut trouver sa voie, mais pour trouver sa voie, il faut avoir toutes les voies devant soi. Parce que tu as des gens qui disent, je ne trouve pas ma voie, mais ils n’en essayent qu'une seule. 

 

Jean-Philippe : C’est ça. Mes deux dernières questions vont avoir une relation, bien sûr, avec le leadership positif qui est le thème de ce podcast comme tu sais. Dans la pratique du leadership positif, Bertrand, on apprend à prendre soin de soi,d’abord, à manager, notamment, son réservoir d'énergie positive, à la fois par prendre soin de soi physiquement, mentalement, au plan cognitif, voire spirituel. Et j'ai eu dans ce podcast un psychologue reconnu qui a écrit de superbes livres sur le sujet, Kim Cameron, qui recommande des activités telles que l'expression de la gratitude, la construction de réseaux d'énergie naturelle, l'utilisation d'une communication de soutien et la connexion aux valeurs personnelles. Alors Bertrand, tu parles toi dans tes interviews de vibrations en haute fréquence, je t’ai entendu dire ça, de compassion, d'empathie qui sont essentielles pour notre humanité. Quels sont tes conseils en matière d'énergie positive ? En ce qui te concerne toi, finalement, comment la développes-tu, comment l'accumules-tu et surtout, comment la diffuses-tu vers les autres, pour te suivre vers ces aventures improbables et incroyables ? 

 

Bertrand Piccard : Écoute, ce que la physique tend à montrer, aujourd'hui, c'est qu'il y a un continuum entre la matière la plus dense et l'énergie la plus pure et que ce continuum, c'est en fait des fréquences de plus en plus élevées ou de plus en plus basses. La matière vibre de manière très basse, le côté très spirituel vibre de manière beaucoup plus élevée. Et puis nous, comme êtres humains, on est un peu au milieu. Et puis on voit très bien que si on tend vers des vibrations plus basses, vers plus de matérialisme, on va vers plus de violence, de revanche, d'égoïsme, etc., et que si on vibre de manière plus subtile, on arrive vers davantage de bonté, de sagesse, de conscience, de compassion qui nous amènent vers un pôle plus spirituel que matériel. Et je pense qu'à chaque moment de notre vie, il faut nous demander comment on vibre. C'est quoi notre vibration du moment ? Et on voit que parfois on est pris dans un esprit de revanche, de rage, de choses comme ça. On se dit, OK, ça, c'est une qualité d'énergie qui est en train de me faire glisser vers le bas.  

 

Jean-Philippe : Toxique, négative. 

 

Bertrand Piccard : Ouais. Donc, comment est-ce que je peux faire pour me sentir justement aller dans un pôle plutôt spirituel ? 

 

Jean-Philippe : Comment le fais-tu toi-même, alors, si je peux me permettre ? Parce que tu as dû aussi avoir des moments de fureur, d'émotion très forte… 

 

Bertrand Piccard : Je pense qu'il faut avoir la capacité de s'observer. Souvent, quand on est en rage, on est à l'intérieur de sa rage. On est complètement une rage et puis, on peut pas en sortir. Quelle que soit la situation, c'est important de se dissocier un peu et de se regarder à distance. 

 

Jean-Philippe : Prendre de l'altitude et monter au-dessus. 

 

Bertrand Piccard : Ouais, presque physiquement. Et tu peux te voir en rage, tu peux te voir en tristesse, tu peux te voir en vengeance. Et si tu te vois, à ce moment-là, tu peux te dire, OK, c'est peut-être pas ça que j'aimerais. Ou alors, tu te dis, je laisse exploser ma rage et puis ensuite, je me calme. Mais, tu as cette distance, qui est absolument fondamentale pour ne pas être complètement dans son pôle négatif. 

 

Jean-Philippe : Parfois, comme le dit Bertrand, nous devons nous détacher quelque temps de notre état émotionnel. Rompre avec notre propre énergie négative. Pour cela, nous pouvons utiliser la technique de la mise à la terre. Pour faire simple, lorsque nous sommes submergés par nos émotions ou par une situation immédiate qui nous paralyze, cette mise à la terre peut nous aider à nous en extraire de façon positive en nous ancrant dans le moment présent. Cette connexion avec le présent, nous donne le temps de reprendre le contrôle de nos émotions, de retrouver le calme et de nous sentir à nouveau en sécurité. Pour cela, on peut par exemple, prendre en main un objet qui possède des caractéristiques intéressantes quand on le touche ou qu'on le manipule. On peut prendre conscience de sa texture, sa couleur, sa température, son poids ou de tous les attributs que vous pourrez lui trouver. 

Comme tu l'as dit pendant cet entretien à plusieurs reprises, tu as toujours refusé de te faire enfermer par des dilemmes, de choisir entre deux camps. Alors aujourd'hui, on est en 2024, on a passé la nouvelle année. Quelle est la voie alternative que tu recommandes à la nouvelle génération ? C'est la nouvelle génération de 20 ans qui essaye de voir son horizon, décarboné ou modernisé, selon les termes, mais aussi sous d'autres formes d'impact positif pour qu'elle ait un impact positif dans leur vie. Comment, finalement, définir cette voie ou refuser de choisir entre ces dilemmes dont tu as parlé tout le temps ? 

 

Bertrand Piccard : Je pense que la génération actuelle, elle se sent complètement coincée dans une situation qu’elle n’a pas choisie elle-même et que ce qu'il faut, c'est la remettre en action et la remettre dans des situations où elle a quelque chose à choisir. Et une des choses à choisir, c'est sa profession. Et par la profession qu'elle va choisir, cette génération va pouvoir orienter le monde complètement différemment. Aujourd'hui, si par un coup de baguette magique on pouvait rénover tous les bâtiments, mettre des pompes à chaleurs partout, devenir efficient partout avec du renouvelable partout, il n'y aurait pas assez de main-d’œuvre pour le faire. Donc, il faut arrêter de croire que l'avenir, c'est uniquement faire des études universitaires pour partir dans la finance. Je crois qu'aujourd'hui, on a besoin de gens qui vont travailler de manière technique, avec leur talent manuel, avec leur talent physique. Et moi, j'appelle ça technicien du futur. Parce qu'il faut pas qu’ensuite on dise qu'il faut devenir plombier, il faut devenir électricien, il faut devenir foreur pour géothermie. Non, il faut devenir technicien du futur. Et ça, ça englobe tous les métiers qui sont ceux de la transition énergétique, la transition écologique, la modernisation de l'efficience, c'est-à-dire ce dont notre monde a besoin. 

 

Jean-Philippe : C'est une excellente conclusion et comme Bertrand, je souscris à cette transformation du monde du travail, à tous ces nouveaux emplois, ces professions, ces vocations d'entrepreneurs, à ces collaborateurs, également, et aux acteurs de cette transformation positive de l'économie, qui n'est pas seulement verte, mais modernisée afin que chacun puisse s'y épanouir. Notre conversation a été tellement riche de sagesse que j'en ai retiré énormément de choses. Et je suis très reconnaissant envers Bertrand, qui nous a aidés à jeter du lest pour trouver notre propre altitude de vol et réaliser pleinement tout notre potentiel. Je m'appelle Jean-Philippe Courtois, vous venez d'écouter le podcast Positivel Leadership. Si vous avez aimé l'épisode d'aujourd'hui, merci de nous donner 5 étoiles sur les podcasts Apple et cliquez sur le bouton Partager de votre application pour envoyer cet épisode à plusieurs amis. Et si vous cherchez à entamer un parcours de développement personnel et d'impact positif, n'hésitez pas à vous rendre sur ma page LinkedIn et à vous inscrire à ma newsletter mensuelle Positive Leadership & You. Merci de votre attention, à bientôt !