Positive Leadership

[FR] Créer un futur positif (avec Jacques Attali)

January 31, 2022 Jean-Philippe Courtois Season 2
Positive Leadership
[FR] Créer un futur positif (avec Jacques Attali)
Show Notes Transcript

Pour ce dernier épisode en français de la saison 2, JP discute avec Jacques Attali de la façon dont nous pouvons créer un avenir meilleur pour nous-mêmes, pour le monde et pour la prochaine génération. Ne manquez pas cette occasion unique d’apprendre de quelqu’un qui, tout au long d'une carrière longue et riche, a participé activement à de nombreuses discussions qui ont changé la face de divers pays et du monde, qui a côtoyé des dirigeants internationaux légendaires et qui est considéré comme l’un de nos plus grands penseurs mondiaux. 

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JEAN PHILIPPE : Bonjour, c’est Jean-Philippe et je suis très heureux de passer ce moment avec vous tous ce matin pour ce dernier épisode de la saison 2 de mon podcast Leadership Positif. Bienvenue bien sûr à tous les nouveaux auditeurs et puis à tous ceux qui sont fidèles et merci de vos feedbacks, les feedbacks positifs sont toujours appréciés, n’hésitez pas à faire part de vos réflexions sur LinkedIn, Instagram au fur et à mesure que vous écoutez ces podcasts.

Bonjour, Jacques.

JACQUES : Bonjour, Jean-Philippe.

JEAN PHILIPPE : Bonjour, Jacques, je suis très heureux de t’accueillir aujourd’hui à mon podcast sur le leadership positif. J’ai le grand plaisir, l’honneur, je dois dire, de te connaître depuis plus d’une quinzaine d’années, je comptais un peu le temps, d’avoir travaillé à tes côtés au sein de PlaNet Finance, Positive Planet et tu es certainement l’un des invités que je souhaitais avoir depuis le début sur ce podcast pour différentes raisons. 

La première, j’ai toujours et je reste toujours impressionné par ta capacité incroyable à vivre plusieurs vies simultanément, tu as même écrit un livre là-dessus, mais surtout tu le fais, tu le vis, que ce soit dans les domaines aussi variés du service public, de la société civile, d’ONG, dans la banque dans le passé, dans le conseil et de multiples domaines de l’art, de la culture et bien d’autres encore. Et surtout, ce qui est fascinant, c’est d’écouter ton point de vue que tu as sur le monde, tous les jours au quotidien tu donnes une analyse sur différents médias, différentes audiences et en même temps la prospective que tu as toujours eue, je me rappelle de notre discussion qu’on a pu avoir il y a quinze ans, il y a dix ans, il y a cinq ans sur la société à 30 ans, le monde à 30 ans et la vision que tu as en toi, je le sens d’aspirer à construire avec toutes les parties prenantes comme on le dit un monde plus positif pour les générations futures, nos enfants, nos petits enfants qui vont venir.

Alors, forcément, je vois en toi un leader positif qui agit tous les matins pour générer cet impact autour de toi et je suis certain que tous nos auditeurs vont passer un moment extrêmement stimulant ensemble, Jacques, ce matin.

Alors, je te propose de démarrer par le tout début comme j’aime le faire avec mes invités et en te demandant en quoi finalement dans ton tout début, à quoi ressemblait… quand tu étais un enfant en Algérie, tu es né en Algérie… où tu as grandi, je crois, jusqu’à tes 13 ans avant de t’installer avec ta famille à Paris et comment ces premières années ont quelque part peut-être façonné qui tu es à titre personnel, ou ont initié ou pas un certain nombre de tes réflexions sur ton point de vue sur le monde.

JACQUES  : Merci. Après une présentation aussi aimable, je ne peux que décevoir ceux qui nous écoutent, mais je suis né en France en fait, puisque l’Algérie était la France et je vivais dans une ambiance relativement bourgeoise des juifs d’Alger qui était une sorte de Nice avec une population fantôme qui était les Arabes que personne ne voulait voir même si mon père qui était devenu à la fois un grand bourgeois et un communiste et rabbin à la fois, lui aussi il avait 3 vies, était extrêmement proche du mouvement indépendantiste et il était depuis le début convaincu que l’Algérie devait être indépendante, mais que nous n’y avions pas notre place. Donc, si j’ai à revenir sur cette enfance, je dirais que j’y ai appris beaucoup de choses, j’y ai appris la douceur de vivre, j’y ai appris le bonheur, j’y ai appris l’exigence du travail, j’y ai appris la possibilité d’apprendre comme autodidacte qui était le cas de mon père et de ma mère qui n’ont fait aucune étude, j’y ai appris que n’importe qui peut devenir un monstre puisque j’ai vu mes camarades de classe devenir des assassins avec l’O.A.S un peu plus tard après mon départ, mais n’importe qui peut devenir un monstre, ça m’a donné d’ailleurs une autre lecture de la Shoah, j’ai appris que les Français pouvaient être épouvantables comme mes parents l’avaient vu puisque mes parents avaient perdu la nationalité française en 40 et ne l’ont retrouvé qu’une semaine avant ma naissance, j’y aie appris aussi par mon père l’importance de prévoir loin puisque nous avons été parmi les tout premiers Français ou juifs d’Algérie à quitter l’Algérie à un moment où personne ne pensait que l’indépendance se pointait à l’horizon

JEAN PHILIPPE : C’est en 56, je crois, Jacques, c’est ça ?

JACQUES : Nous sommes partis en 56, mais dès le 1er novembre 54, moi je suis né un 1er novembre, mon père nous a dit à mon frère et moi, j’ai un frère jumeau et ma sœur était trop jeune pour comprendre, que c’était fini et qu’il fallait partir.

Donc, dès le début de la révolution algérienne, il a organisé notre départ et si nous sommes partis à 56 très calmement, c’est parce qu’il lui a fallu 18 mois pour organiser notre départ, mais cette façon d’anticiper m’a accompagnée toujours.

JEAN PHILIPPE : D’accord. Ce que tu dis… à la fois, cette douceur de vie, mais en même temps ces tragédies, ces atrocités aussi et puis l’anticipation du long terme, quoi. Donc quelque part, cette prospective que tu as en toi, ton père n’y est pas pour rien. 

Jacques pour passer, j’allais dire un petit peu à différentes responsabilités que tu as occupées et moi j’ai toujours été intéressé par ton application au cœur de l’état, de l’état souverain, de la collectivité publique… tu étais aux premières loges pendant de très nombreuses années et j’aimerais connaître ta vision actuelle finalement sur le rôle parce que tu t’es beaucoup exprimé là-dessus, le rôle des états pas forcément que de l’état français, mais des états et surtout de leur leader a réellement pouvoir bâtir un changement positif pour les générations futures, pour le long terme. Quel est ton regard là-dessus ?

JACQUES : Bon pour moi positif, ça veut dire générations futures. Ma définition d’une société positive, c’est une société qui travaille dans l’intérêt des générations futures. Cette définition m’amène à penser qu’un état n’est positif que s’il travaille dans l’intérêt des générations futures.

Aujourd’hui, il y a mille et une sortes d’états, il y a des états totalitaires plus ou moins efficaces comme… c’est le cas de la Chine. Il y a des états totalitaires totalement corrompus et inefficaces comme la plupart des… enfin comme beaucoup, pas la plupart, mais d’états africains, d’Amérique latine et à des états démocratiques dont très peu sont capables de s’intéresser au long terme, parce que nous avons… en ayant choisi de privilégier la liberté, nous avons choisi la démocratie et l’économie de marché qui ont des qualités immenses, personne ne peut penser qu’il y a mieux, mais qui ont un inconvénient, c’est de privilégier le court terme, puisque le choix électoral est très immédiat, très rapide et le choix des marchés dépend des cours de bourse [INDISCERNIBLE 00:06:55]

Donc, nous avons une contradiction entre liberté et positivité qui est très peu vue et qui fait qu’il est très difficile d’avoir des leaders démocratiques et positifs puisqu’un leader démocratique, c’est un leader qui est à l’écoute du point de vue de ses opinions et un leader politique, c’est quelqu’un qui prend en compte l’intérêt des générations futures or il est très difficile pour un leader de se placer dans la position des parents qui par nature en tout cas dans l’enfance de leur progéniture prennent des décisions à leur place dans l’intérêt des générations… dans leur intérêt parfois faisant des sacrifices de même dans l’intérêt de ces générations futures. Or aujourd’hui et c’est une des plus grandes difficultés du moment, comment concilier démocratie et long terme en sachant que les dictatures ne font pas mieux puisque les dictatures ne sont… on pourra peut-être en reparler… je ne pense pas que la Chine soit plus capable de le faire.

Si on ajoute à ça et après je suis peut-être un peu long dans mes réponses…

JEAN PHILIPPE : Non non non. Je t’en prie.

JACQUES : Si on ajoute à cela que le pouvoir politique est de plus en plus affaibli par les marchés puisque la dynamique entre marché et démocratie est très claire… il y a, à priori marché et démocratie se renforcent réciproquement puisque le marché a besoin de la démocratie et la démocratie a besoin de marché, mais il y a une différence de nature qui est que la démocratie a des frontières alors que le marché est sans frontières et donc le marché est par nature sans frontières géographiques et sans frontières de domaines d’intervention. Donc, le marché a vocation à tout conquérir, tous les territoires et à conquérir tous les domaines d’intervention. On le voit aujourd’hui avec les secteurs de la santé, de l’éducation, de la sécurité qui deviennent des éléments du marché. Et donc les états se voient être simplement des moyens de redistribution de richesses par la fiscalité pour compenser du mieux qu’ils peuvent les inévitables inégalités que provoquent les marchés. C’est pas très glorifiant, c’est pas très glamour, c’est pas très intéressant non plus pour qui que ce soit de talent que d’aller s’occuper de cela.

JEAN PHILIPPE : Donc, tu n’es pas très optimiste sur la capacité des états actuels même les plus vertueux à avoir cet impact sur le long terme, c’est inconciliable selon toi ?

JACQUES : Cher Philippe, la question de l’optimisme et le pessimisme, ça ne m’intéresse pas. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Je prends souvent l’exemple d’un match de foot. Dans un match de foot ou de quelque sport que ce soit, si on est spectateur du match, on peut être optimiste ou pessimiste, si on est joueur du match, ça ne sert à rien d’être optimiste ou pessimiste, il faut jouer le match et le gagner.

Or là, nous sommes les acteurs de ce match, il nous faut à tout prix créer des systèmes de gouvernance dans lesquels la prise en compte du long terme soit assurée et nous n’en voyons pas la trace.

JEAN PHILIPPE : Donc, c’est ça qui n’est pas activé aujourd’hui dans le cadre démocratique et qu’il faudrait qu’il faudrait réinventer donc ?

JACQUES : Oui.

JEAN PHILIPPE : Et Jacques, alors moi dans le cadre de ce podcast, je suis très intéressé aussi à la fois par mes invités et les vies qu’ils ont eu, à comprendre quand, comment ils ont rencontré aussi ce que j’appelle des leaders positifs, que ce soit dans le domaine des affaires, de la vie publique, du sport, de la recherche, de l’art, je sais que tu as approché, tu continues d’approcher un nombre de leaders entre guillemets du monde incroyable… est-ce que tu pourrais partager avec nous l’enthousiasme que tu as eu, que tu as pour deux ou trois personnes maximum ou un ou deux qui t’ont vraiment marqués comme étant ceux qui portent en eux justement plus que cette vision, qui sont des acteurs engagés sur le terrain pour les générations futures et qui selon toi expriment le mieux ce que tu attendrais finalement.

JACQUES : Il y a beaucoup de monde que j’ai rencontré ou que je rencontre tous les jours aujourd’hui encore qui sont des acteurs magnifiques de la positivité, c’est-à-dire la prise en compte du long terme. Veux-tu que je ne parle que de gens vivants et actifs ou de gens même du passé ?

JEAN PHILIPPE : Non, ton choix je dirais, ceux qui te parlent le plus aujourd’hui, au cœur, à l’esprit. Voilà… « des role models »…

JACQUES : On ne peut pas dans une liste de ce genre écarter François Mitterrand que j’ai eu le grand honneur de rencontrer très jeune, parce que je l’ai voulu, ce n’est pas une rencontre de hasard et qui ensuite m’a demandé d’être son principal collaborateur pendant presque 20 ans et qui lui était clairement quelqu’un qui pensait au long terme avec d’ailleurs une ambiguïté, parce que la question qu’il se posait était à la fois, que sera le pays dans 30 ans, mais aussi que pensera-t-on de moi dans 30 ans ? Et il y avait chez lui une coïncidence, un parallélisme des formes entre le souci de rester dans l’histoire et le souci de faire l’histoire. 

En dehors de ça, je rencontre en ce moment beaucoup de gens qui restent… qui sont des acteurs positifs extraordinaires, je passe un long moment demain avec un ami qui s’appelle le docteur [INDISCERNIBLE 00:12:20] qui est un prix Nobel de la paix qui est un acteur majeur de l’éthique en Afrique et du sort des femmes, qui est un être d’exception à la fois… mais qui en même temps est presque broyé par les systèmes comme d’autres qui sont… plus ils sont positifs, plus les tyrans les détestent.

Et puis, il y a des artistes dont je me sens extrêmement proche, des musiciens, des écrivains du monde entier. Si j’avais à citer un seul nom aujourd’hui je dirais que je me nourris beaucoup de musique et je me nourris beaucoup de musique de gens qui ne sont pas forcément vivants aujourd’hui. Il y a un musicien qui m’accompagne beaucoup, c’est Richard Strauss et je trouve dans la musique de Richard Strauss qui est pourtant un personnage pas humainement sympathique du tout quelque chose qui m’appelle au dépassement et qui me donne confiance dans la nature humaine. 

JEAN PHILIPPE : C’est une sélection en tout cas très diverse et qui parle aussi bien au sens qu’à l’esprit et j’ai apprécié la manière dont tu parlais à la fois d’avoir un impact sur l’histoire et avoir un impact personnel quand tu parlais du président Mitterrand bien sûr, mais aussi de la manière dont Richard Strauss sans doute… je ne sais pas si la musique te berce, mais t’inspire j’imagine depuis de très nombreuses années. 

JACQUES : J’ai appris à jouer très mal du piano à l’âge de 7 ans, j’ai fait du piano très longtemps, j’ai eu la chance incroyable d’avoir pu faire, de pouvoir faire ce que je considère comme impossible pour moi, c’est de la direction d’orchestre. 

JEAN PHILIPPE : Oui, je t’ai vu… c’est impressionnant.

JACQUES : Je continue à en faire beaucoup, ce qui d’ailleurs est une preuve que j’ai voulu me donner et donner à tout le monde que quand on veut on peut. Je ne suis pas doué, je n’ai pas l’oreille absolue, je suis très maladroit et pourtant je dirige les plus grands orchestres symphoniques du monde, c’est simplement beaucoup de travail et de passion et c’est la preuve que n’importe qui peut, dans des circonstances particulières peut devenir un monstre, ce que j’ai vu en Algérie, que n’importe qui avec de la volonté peut réussir ce qu’il entend, n’importe quoi. Pardon d’insister, mais pour moi la seule qualité importante… je ne crois pas malgré tout ce qu’on raconte et je suis en train d’écrire là-dessus au don inné qui fait qu’on est quelque chose, parce qu’on est né comme ça, etc. Je crois évidemment beaucoup à ce qu’on m’a appris et ce qu’on a dit tout à l’heure sur l’apprentissage était important, mais s’il y a une qualité innée ou en tout cas qu’il est important de cultiver chez les jeunes et à chacun des moments de sa vie, c’est ce qu’on appelle en français, la niaque ou la motivation. En anglais, ça s’appelle le grit.

JEAN PHILIPPE : Le grit, oui absolument. 

JACQUES : … Et pour moi, c’est la seule qualité. Je n’étais pas spécialement doué en mathématiques et avec beaucoup de motivation et beaucoup de travail

j’ai fait les meilleures études imaginables en mathématiques au sommet de cette science très difficile de même dans d’autres domaines. N’importe qui avec de la motivation peut aller très très loin.

JEAN PHILIPPE : Avec cette soif d’apprendre aussi Jacques. De la soif d’apprendre à apprendre…

JACQUES : C’est à la fois la soif d’apprendre… pour ma part, c’était autre chose aussi, il y avait… il y a dans la motivation, à la fois une soif, une curiosité, mais il y a aussi la peur de l’échec. Moi je vais le dire à l’ami Jean-Philippe, quand j’avais 15, 16 ans, 17 ans, ma grande angoisse, c’était de finir comme un ingénieur de... de Toulouse. Je m’étais fixé ça comme anti-modèle.

JEAN PHILIPPE : D’accord.

JACQUES : Je ne veux pas être un élève... de Toulouse, ça n’existe plus les... c’était les écoles d’ingénieurs.

JEAN PHILIPPE : Oui, je m’en rappelle…

JACQUES : Et je ne voulais pas faire ça. Toi, tu es la démonstration même qu’on peut faire une carrière planétaire au plus haut niveau de la plus grande entreprise mondiale même quand on n’a pas fait une école plus prestigieuse que... de Toulouse.

JEAN PHILIPPE : Oui, complètement.

JACQUES : Voilà, donc c’était une crainte peut-être injustifiée, mais j’avais cette angoisse-là et donc la motivation vient aussi de la peur, la peur d’échouer.

JEAN PHILIPPE : Et surmonter cette peur évidemment par l’action et cette détermination à apprendre… Jacques, j’aimerais passer à un épisode aussi continu de ta vie, parce qu’il nous rapproche aussi en tant qu’entrepreneur social. Tu as été initiateur, je crois, au début en 79 avec Françoise Giroud, Bernard Henri Levy, Marek Halter et bien d’autres encore de l’ONG internationale Action internationale contre la faim. En 98, en compagnie de Mohamed Yunus tu crées PlaNet Finance, une organisation incroyable qui a démocratisé la microfinance de manière très large dans le monde et j’ai le plaisir d’y être associé et tu as poursuivi tout ça bien sûr avec Positive Planet.

Est-ce que tu peux nous dire, partager en fait quel a été le déclic pour toi qui t’a amené à t’engager sous cette forme d’entrepreneuriat qu’on appelle entrepreneuriat social sous des formes très variées en fait.

JACQUES : Oui j’ai créé plusieurs organisations. J’ai créé aussi la BERD, j’ai créé aussi EUREKA et puis c’est aussi que j’ai créé… une....  de microfinance qui est microcred que nous avons géré ensemble pendant un moment. Ce qui a été le moteur, ça a été un moteur commun au reste de ma vie. Je suis un intellectuel, j’ai écrit mon premier livre à 26 ans, 27 ans, j’étais professeur à polytechnique à 24 ans, 25 ans, mais je ne me suis jamais contenté de réfléchir ou de sonner l’alarme ou de faire des propositions. J’ai toujours pensé qu’il fallait agir. Et très jeune, en réalité, l’idée d’Action contre la faim, c’est moi qui l’ai eu tout seul. J’ai associé d’autres gens après. Comment ça s’est produit ? Un jour un parlementaire italien qui était à l’époque très célèbre qui s’appelait Panella qui était un parlementaire disons marginal de gauche très actif dans la lutte contre… enfin dans le devoir d’alerte est venu me voir en me disant, il y a une famine épouvantable en Éthiopie, il faut alerter, il faut faire une conférence de presse, il faut dire les choses, etc. J’y ai réfléchi et je me suis dit, moi j’ai pas envie de faire qu’alerter, ça m’intéresse pas d’alerter, je veux faire quelque chose.

JEAN PHILIPPE : Il faut agir.

JACQUES : Voilà. Et donc, immédiatement et c’est pour ça d’ailleurs que c’est la même chose que l’action que j’ai menée avec François Mitterrand. Je n’ai pas voulu être simplement un intellectuel qui fait des propositions, j’ai voulu agir en même temps.

Parce qu’un intellectuel qui n’agit pas devient la marionnette de celui qui agit et un homme d’action qui ne pense pas, la marionnette des intellectuels qui ont dicté sa pensée, donc je voulais être libre en étant les deux à la fois.

Donc, j’ai réuni des amis, dont ceux que tu as nommés. On a réfléchi, ça se passait chez moi, on s’est réuni plusieurs fois et on a décidé de créer Action contre la faim, International contre la faim qui au départ n’était pas grand-chose, mais qui aujourd’hui est la première organisation d’urgence non médicale en Europe. 

Ensuite, j’ai rencontré en effet Mohamed Yunus, la microfinance n’existait pratiquement pas en dehors du Bangladesh et un petit peu en Amérique latine et avec lui nous avons développé avec PlaNet Finance, une organisation qui aujourd’hui n’existe plus dans le monde, mais qui a été pendant 25 ans le principal moteur de la généralisation de la microfinance qui aujourd’hui touche 500 millions de personnes alors que quand on a commencé, il y en avait six millions.

JEAN PHILIPPE : C’est incroyable de voir comment ça s’est diffusé, démocratisé, de par le monde aujourd’hui.

JACQUES : De même quand il m’est arrivé d’avoir… J’ai toujours eu l’idée de transformer une idée en action. Quand les américains ont lancé en 82, 83 ce qui s’appelait le SDI, Special Defense Initiative qu’on a appelé ensuite la guerre des étoiles…

JEAN PHILIPPE : Oui.

JACQUES : … les européens étaient fascinés est très attirés par ça et moi je me suis dit il faut qu’on ait une réponse européenne, il faut que les européens fassent quelque chose d’équivalent et j’ai lancé tout seul… moi, j’avais le privilège d’être le conseiller du président de la République et d’être le sherpa, donc j’ai pu gérer ça d’une façon… 

j’ai lancé EUREKA auquel j’ai associé quelques collaborateurs et puis ensuite… ça existe encore aujourd’hui. EUREKA est une organisation européenne qui était la première qui rassemblait les pays d’Europe de l’Ouest et d’Europe de l’Est pour faire en sorte que les entreprises travaillent ensemble à avoir des initiatives de haut niveau technologique. C’est d’ailleurs là qu’a commencé la carte du génome, c’est là qu’on a découvert le MP3 et c’est là que les entreprises de l’Europe de l’Ouest et de l’Est ont travaillé ensemble et parfois les idées peuvent être transformées en actions. Ma leçon de l’histoire, c’est que si on ne le fait pas tout de suite, ça n’arrive jamais…

JEAN PHILIPPE : Il faut le faire immédiatement quand on a cette

JACQUES : Tout de suite ! Il y a une fenêtre d’opportunité qui est en général extrêmement brève et qui lorsqu’elle est passée ne revient plus.

JEAN PHILIPPE : Il faut réellement plonger dans l’action dès que son intuition et surtout son désir de changer les choses est présent. Jacques, dans toutes ces initiatives que tu as menées et que tu continues à mener, qui sont dans des univers aussi différents de cette action un petit peu sociétale, sociale au sens large est-ce que tu peux peut-être partager avec nous une histoire, une histoire humaine qui t’a touchée finalement dans ce qu’on appelle un peu les bénéficiaires, ceux qui en dernière instance, que ce soit par la microfinance, que ce soit par Positive Planet, que ce soit pour l’Action contre la faim ou d’autres, t’a touché personnellement en te disant, ah oui finalement, ce que j’ai pu faire là, ça a un grand sens pour lui, pour elle, pour eux. Je sais que c’est difficile de choisir, parce qu’il y en a tellement…

JACQUES : Non, je vais raconter deux anecdotes. L’une qui n’est pas par rapport à ce que tu viens de dire, mais qui est vraiment structurante pour moi.

Quand je suis sorti de... je suis rentré au Conseil d’État, j’avais tout de suite eu envie de travailler d’une façon internationale et j’ai été appelé par les Nations unies pour aider à penser la réforme de l’enseignement dans plusieurs pays et j’ai été appelé à réformer l’enseignement, j’avais 26 ans… supérieur en Iran et en Afghanistan. 

À l’époque, c’était encore le Shah et le roi et je me souviens très bien que la première fois où j’ai été à Téhéran, où j’ai été très souvent ensuite j’ai pris l’avion Téhéran-Kaboul, un nombre incroyable de fois… la première fois que j’ai été à Téhéran, je suis arrivé à mon hôtel qui s’appelait l’hôtel Franklin Roosevelt, je suppose que s'il existe encore, il a dû changer de nom…où devant l’entrée il y avait un gamin qui devait avoir 7, 8 ans qui mendiait et qui en même temps faisait ses devoirs, il était très digne, et je ne sais pas pourquoi l’image de ce gamin ne m’a jamais quittée, j’ai toujours l’impression que c’est pour lui que je travaille.

JEAN PHILIPPE : D’accord. Tu lui avais parlé à ce gamin ou pas ?

JACQUES : Jamais. Pas du tout. Et donc, c’est en quelque sorte… on a tous un enfant intérieur, celui qu’on a été, celui qu’on se demande ce qu’il pense de nous. Que pense l’enfant que j’ai été de moi ? C’est une question très importante qu’il faut poser. En dehors de l’enfant que j’ai été et dont je me demande ce qu’il pense de moi, aujourd’hui j’ai cet enfant en face de moi. Si j’avais à choisir un exemple je choisirais par exemple deux femmes qui étaient travailleurs à la chaîne à Peugeot et Peugeot qui était dirigé à l’époque par Philippe Varin, avait accepté contre tout le monde de confier à PlaNet Finance le soin de proposer aux gens qu’ils étaient obligés de licencier, parce que la situation était catastrophique une réinsertion non pas par la formation ou un nouveau poste de travailleur à la chaîne derrière, mais la réinsertion par la création d’entreprise. Et donc, je me souviens, on a lancé ce programme à Poissy, là où il y avait des usines Peugeot, d’avoir été rencontrer deux femmes, une cinquantaine d’années qui avaient travaillé toute leur vie jusque-là à la chaîne et qui avaient eu un rêve qui était de créer un service de traiteur à domicile pour les gens du quartier. On les avait aidées à concevoir les choses, à faire des prix, des achats et c’était à la fois formidable, elles étaient heureuses… je ne sais pas ce qu’elles sont devenues, je ne sais pas si leur entreprise dure encore, si tout a fonctionné durablement. Au bout de quelques mois, je sentais des gens qui avaient enfin trouvé un moyen de faire ce que j’appelle devenir soi, c’est-à-dire, vivre une vraie vie en étant leur maître, plus personne n’a envie d’être salarié. C’est une situation d’esclave, salarié… tout le monde a envie de devenir soi. Parfois, quand on est salarié comme toi à une position où on arrive à créer, à inventer, ça reste passionnant, mais on le voit d’ailleurs avec ce qu’on appelle... aujourd’hui. Tout le monde a envie d’être soi…

JEAN PHILIPPE : Oui, complètement.

JACQUES : …et les entreprises ne sont d’ailleurs plus… je ne sais pas ce que tu en penses, mais pour moi, les entreprises aujourd’hui ne sont plus que des collections de mercenaires déloyaux où chacun pense à lui-même et c’est très difficile quand on est un chef comme toi de recréer de la loyauté et de faire que les gens ne sont pas que des mercenaires prêts à partir dès qu’on leur offre un meilleur job ailleurs. 

Et pour ça, pour y arriver, il faut donner du sens, un sens qui n’est pas seulement le sens du salaire ou des stock-options, etc. Et aujourd’hui, c’est très difficile et c’est bien ainsi, ça veut dire que si… c’est pour ça que la distinction entre entreprises positives et entreprises tout court n’a plus de sens. Aujourd’hui, une entreprise qui ne sera pas positive est condamnée à mort tout simplement, parce que les salariés vont tirer le tapis sous elle, ils ne vont plus travailler chez elle.

JEAN PHILIPPE : Je te rejoins totalement, Jacques et d’ailleurs il y a eu une étude récente d’Edelman qui fait un baromètre chaque année de réputation, de confiance, entreprises, états, etc, et qui s’est attardée sur les raisons pour lesquelles les employés quittaient les entreprises en 2021 et en fait, la deuxième raison la plus importante, ce n’était pas du tout le cas il y a deux, trois ans, c’est effectivement le manque d’alignement avec les valeurs et la mission de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. C’est devenu quelque chose maintenant d’inacceptable pour beaucoup de salariés et moi je reste positif sur la façon malgré tout de connecter la mission de ces personnes avec les missions d’une entreprise qui va œuvrer d’une manière positive dans le cadre de sa stratégie d’entreprise. En tout cas, je pense qu’il y a une possibilité de le faire qui n’est pas simple et en tout cas, c’est ce à quoi j’aspire dans ce que je peux essayer d’entreprendre.

Jacques, j’aimerais revenir… tu as parlé d’une histoire qui t’a touché, de cette image de cet enfant et ben moi dans mon dans mon esprit je me rappelle très très précisément quand je suis venu te voir en février 2016 lorsque je t’ai présenté mon projet Live for Good qui aspirait à ce moment-là à révéler le potentiel de jeunes venus de tous horizons par l’entrepreneuriat social et non seulement tu m’as fait le plaisir d’accepter d’être le premier président du jury du prix Gabriel Live for Good au nom de mon fils Gabriel, mais surtout tu m’as créé les conditions pour sauter et je reviens à ce que je disait juste avant, c’est-à-dire tu m’as dit, Jean-Philippe, non seulement tu dois le faire, mais j’attends tes lauréats à notre grande conférence, forums du Havre de l’économie positive en septembre 2016 et moi ça m’a donné un ultime atome, mais positif je peux te dire et en quatre, cinq mois, j’ai trouvé quelque part l’énergie avec l’aide d’amis, famille, etc, de créer ce premier prix Gabriel Live for Good. On avait cinq lauréats incroyables sur scène…

JACQUES : Je m’en souviens.

JEAN PHILIPPE : …et où tu nous as fait le plaisir… de remettre… et aujourd’hui Jacques, on accompagne 300 entrepreneurs impact positif en France, Live for Good. Et donc, moi j’ai plaisir de voir un petit peu l’impact qu’on peut avoir auprès d’eux et ça me pousse énormément et donc quand je me retourne sur cette histoire qui s’est passée très vite et qui continue et que je t’imagine aujourd’hui face à ces entrepreneurs de notre communauté par exemple quels seraient les trois conseils que tu leur donnerais pour bâtir ce changement dans le monde sachant qu’eux ils ont déjà pris cette résolution et sont acteurs, ils viennent de créer leur entreprise sociale, ils démarrent… quels sont les trois choses, vraiment, que tu leur dis de considérer ?

JACQUES : D’abord être lucide, ne pas se mentir à soi-même ni dans ce qu’on peut faire, ni dans les chiffres, ni dans les perspectives, ne pas se mentir à soi-même. Deuxièmement, ne pas faire quelque chose qui peut être fait par quelqu’un d’autre. Donc, vraiment avoir quelque chose de personnel. Et troisièmement, créer une équipe. Une équipe à la fois dans l’entreprise, dans les partenaires, créer un réseau de relations fondé sur le respect où chaque membre de ce réseau a le sentiment qu’il est pris au sérieux et qu’il n’est pas un esclave ou un objet ou juste client.

JEAN PHILIPPE : Qu’il est un acteur du changement…

JACQUES : Prendre les autres au sérieux et les respecter pour leur apporter au moins autant qu’ils vous apportent. Voilà le conseil que je donnerais.

JEAN PHILIPPE : Non, j’aime beaucoup ces trois conseils, je les ai notés puisqu’à la fin je prendrais 3 suggestions de toute cette discussion, mais je les aime beaucoup.

Pour en revenir à ton engagement personnel, Jacques, pour continuer je souhaiterais que tu puisses parler un petit peu de ta philosophie de ce que tu as appelé l’économie de la vie en créant aussi d’ailleurs par ailleurs l’institut de l’économie positive qui réalise des audits, des mesures pour les états, les collectivités publiques ou les entreprises avec un indice de positivité. Moi, je suis un optimiste, tu le sais, mais je suis un acteur aussi donc je ne reste pas dans la béatitude de l’optimisme et je suis assez convaincu qu’il y a quelques forces systémiques en ce moment qui sont en train de s’accélérer qui font que notamment dans le domaine des entreprises, des grandes entreprises en particulier, elles vont plus pouvoir se contenter de politique RSE qui avait le mérite d’exister, de responsabilité sociale d’entreprise, mais que la notion de stratégie dite ESG, alors je suis désolé pour tous ces acronymes, d’Environment Social and Governance qui sont un petit peu les nouvelles normes qui sont en train de se mettre en place aux États-Unis comme en Europe pour réellement mesurer la responsabilité et l’action des entreprises dans ces trois domaines. Je pense que c’est une transformation qui va être encore plus importante que la transformation numérique que je connais bien qui est en train de se faire et qui va devoir, je pense, se combiner et donc dans ce contexte-là toi qui conseille beaucoup de dirigeants de grandes entreprises notamment, est-ce que tu sens qu’il y a effectivement des changements qui sont en train de se faire dans leur direction stratégique, leurs priorités et la manière dont ils, maintenant, ils ancrent cela au cœur de leur projet d’entreprise et pas d’une manière… je ne dis pas ça de manière négative, mais un peu superficielle ou cosmétique.

JACQUES : Dans la quasi-totalité des cas, ça reste cosmétique.

JEAN PHILIPPE : Tu penses ?

JACQUES : Oui. Ça reste du greenwashing, ça reste de l’apparence. Ça coûte moins cher de faire une campagne d’ESG qu’une campagne de pub et ça rapporte plus, donc ça reste ça. Je connais beaucoup de très grandes entreprises qui ont fondé leur véritable puissance médiatique sur une apparence de bonne conduite, alors qu’en fait, ils produisent des poisons et ils continuent d’empoisonner les gens et d’ailleurs s’ils ne le faisait pas, ils auraient moins de chiffres d’affaires et leur patron serait viré. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé au patron de l’une d’entre elles quand il a essayé de bouger un petit peu les lignes. Donc, je pense qu’on est très très très très loin de ce qui serait nécessaire et la course est loin d’être gagnée. Les entreprises continuent à produire pour le profit et pour les actionnaires, point final d’une façon très très prioritaire.

Maintenant, la prise en compte du long terme viendra de la pression des consommateurs et des actionnaires, c’est-à-dire des épargnants. C’est pour ça que la mesure de la positivité, c’est des indices qu’on fait ou nous l’institut de l’économie positive mesure la positivité de l’entreprise et de fait ne sera vraiment pris au sérieux que si les banques, les compagnies d’assurance, les fonds d’investissement le font vraiment.

Alors, c’est pour ça que j’ai introduit ce concept d’économie de la vie qui me paraît absolument central. 

L’économie de la vie, c’est l’ensemble des secteurs qui concourent à une société positive. Je préfère ne pas parler d’économie positive, mais de sociétés positives…

JEAN PHILIPPE : De société positive.

JACQUES : … c’est-à-dire une société qui travaille dans l’intérêt des générations futures et ce n’est pas seulement par des activités marchandes, il y a des tas d’activités non marchandes publiques ou associatives par nature qui travaillent dans l’intérêt des générations futures. C’est pour ça que ça n’est pas une économie positive, mais une société positive et l’économie qui est au service d’une société positive, c’est l’économie de la vie. Je distingue deux catégories de secteur, l’économie de la vie, ce sont les secteurs qui travaillent dans l’intérêt des générations futures, qui sont la santé, les industries liées à la santé, l’hygiène, l’alimentation saine, l’agriculture qui va avec l’éducation, la culture, les outils digitaux qui sont nécessaires à tout cela, la finance durable, les différents sentiments, les différents secteurs qui peuvent être associés à cela comme la démocratie, la presse, la finance, l’assurance, la logistique et quelques autres et puis les secteurs de morts qui sont tout ce qui tourne de près ou de loin autour de l’énergie fossile et d’autres formes de poison comme les drogues ou les sucres artificiels. Ça fait beaucoup de choses, ça fait 60 % du PIB. Même le tourisme est dans l’économie de la mort, très largement. Par la destruction de l’environnement qu’il applique, par la mobilité du gaspillage, etc.

La clé, c’est de mobiliser tout le monde vers l’économie de la vie et d’organiser la transition des autres secteurs. Pour moi, ce qui compte c’est pas l’économie de la vie en tant que telle, c’est la transition du reste. Pour ça, il ne faut pas simplement financer les secteurs de l’économie de la vie, il faut financer tous ceux qui n’y sont pas…

JEAN PHILIPPE : Pour les transformer.

JACQUES : …pour les transformer. Il faut transformer tout le secteur du tourisme en un secteur d’hospitalité pour que ça soit un tourisme respectueux de la nature qui ne soit pas fondé sur une mobilité de masse qui pille l’environnement. Il faut que les entreprises d’énergie deviennent des entreprises de l’économie d’énergie ou des entreprises d’énergie durable. L’industrie du vêtement doit changer, etc. Donc, les industries de la mort peuvent se transformer et c’est la clef de cela.

JEAN PHILIPPE : Non je te rejoins. Alors, je pense que le mouvement est lancé, il va prendre du temps, mais que ce moment transformation, il est gigantesque, il va falloir quand même aligner un petit peu comme on dit les planètes entre les différentes parties prenantes.

Jacques, pour avancer, on se rapproche de la fin bien entendu, mais je voudrais parler avec toi aussi de ton incroyable capacité, je l’ai dit au tout début, mener autant de vies d’expériences, d’initiatives à la fois notamment écrivain, je crois que tu as plus de 80 livres il me semble écrit si je ne me trompe pas…

Publiés, voilà, plus de 7 millions d’exemplaires. Et voilà, tu es aussi chef d’orchestre, il y a mille et une choses que tu fais, que tu continues de faire dans ta vie. Une question que tout le monde se pose, que je t’avais déjà posée, comment tu gères ton temps au quotidien chaque jour, chaque semaine, chaque mois et qu’elle est la cadence qui permet de mener ces différentes vies au quotidien ?

JACQUES : J’ai toujours été très précis dans la gestion de mon emploi du temps tout en conservant beaucoup de libertés. D’abord, j’ai une gestion de base qui est que j’ai un agenda où mes assistantes impriment tous les vendredis pour les trois prochains mois que je regarde en détail et que j’aménage pour pouvoir avoir un agenda qui ne soit pas fou, au temps où on pouvait voyager j’étais comme toi dans tous les pays du monde sans arrêt et j’essayais de gérer seul, je garde le maximum de temps libre pour moi autant qu’il est possible. Donc, c’est une question de gestion de temps la plus rigoureuse possible, je garde du temps pour ma famille autant que je peux, je garde du temps pour ma vie personnelle, mais en clair, pour moi la chose la plus importante, c’est la niaque, la volonté qui permet de ne pas se contenter de quelque chose. Quand j’ai fini un livre, je ne pense qu’au suivant, quand je sors d’un concert je me demande quand est le suivant et quand Positive Planet obtient un succès, je me demande quelle est la catastrophe qui nous menace... le succès suivant, voilà. 

JEAN PHILIPPE : Tu es toujours sur le combat d’après, l’initiative suivante.

JACQUES : Oui, je pense. J’en ai parlé beaucoup avec des skieurs ou des cavaliers.

JEAN PHILIPPE : Ouais.

JACQUES : Si en skiant, en slalom, tu penses à la porte que tu passes, tu vas tomber. il faut penser à la porte d’après. De même, un cavalier ne doit pas penser à l’obstacle qui est devant lui, il doit penser à l’obstacle d’après.

JEAN PHILIPPE : Le suivant.

JACQUES : Si tu es devant l’obstacle et que tu penses à cet obstacle, c’est que tu l’as mal préparé. 

JEAN PHILIPPE : On revient toujours à cette même anticipation dont tu as parlé depuis le début en fait, l’anticipation de l’obstacle d’après, de l’étape d’après. 

Jacques, tu n’as pas révélé quelque chose qui est assez unique, je trouve, enfin assez unique, et dont on a parlé dans mon podcast, il y a des avis sur le sujet, sur le sommeil, la qualité et l’importance d’avoir un sommeil réparateur tous les jours. Je crois et je ne veux pas me tromper, mais n’hésite pas à le faire si je me trompe, tu fais partie de ces moins de 1 % de la population, je ne sais même pas si c’est 0,1 % qui ne dorment je crois que quatre à cinq heures par nuit.

JACQUES :  C’est pas important. On a toujours parlé de ça à mon propos. Premièrement, il ne faut surtout pas chercher à réduire la durée de son sommeil, parce que c’est mortel, j’ai des exemples. Deuxièmement, il y a des tas de gens qui dorment peu et qui ne font rien de leur vie.

JEAN PHILIPPE : C’est vrai aussi.

JACQUES : Donc, quand on me dit ah oui, mais toi tu fais beaucoup de choses parce que tu ne dors pas, c’est pas vrai. Je connais plein de gens qui ne dorment pas et qui ne font rien. Et il y a beaucoup de gens qui déculpabilisent en disant, oh je ne fais pas grand-chose par rapport à toi, parce que tu dors peu. Non.

Je connais des tas de gens qui dorment beaucoup et qui font énormément.

JEAN PHILIPPE :  Non, non c’est une très bonne réponse. Jacques, alors néanmoins, tu as parlé de ta rigueur quelque part sur la gestion de ton temps et la manière dont vraiment tous les trois mois, tu réfléchissais et tu faisais tes choix, tes tris, tes priorités et toutes les semaines et vie trimestrielles et est-ce que tu as d’autres routines aussi tous les jours, qu’elles soient sportives, culturelles, méditatives ou autres que tu utilises…

JACQUES :  Une heure de gym tous les matins.

JEAN PHILIPPE :  Une heure de gym tous les matins. D’accord. Tu démarres par ça le matin en fait.

JACQUES : Oui, je ne l’ai pas encore fait ce matin, parce que j’ai eu d’autres.., mais je le ferai tout à l’heure, mais en général c’est le matin et il n’y a pas une journée sans que je ne fasse une heure de gym…

JEAN PHILIPPE : Tous les jours. Tous les jours tu... à ça, c’est incroyable. Il y en a d’autres sinon avant de te coucher ou dans la journée des mini breaks, des mini siestes ou autre, je ne sais pas la sieste, tu n’en as pas besoin.

JACQUES : Si je peux faire une sieste d’un quart d’heure, je le fais. J’ai eu très longtemps une certaine culpabilité à l’égard de la sieste, je ne l’ai plus.

JEAN PHILIPPE : C’est bien.

JACQUES : Parce qu’on m’avait culpabilisé, mais je ne l’ai plus et au contraire puisque maintenant, je sais que c’est réparateur, j’essaye de préserver… j’ai écrit mon éditorial dans les échos cette semaine là-dessus. C’est très important de préserver des moments de solitude. C’est très très... C’est pour ça d’ailleurs… il y a une statistique qui est passée inaperçue, qu’on m’a dit récemment c’est que pendant le confinement les chercheurs masculins ont énormément publié et les chercheuses ont beaucoup moins publié que d’habitude. Tout simplement, parce que dans le télétravail, les hommes ont occupé le terrain, l’espace, le bureau et les femmes avaient tout le reste du boulot. Et donc, avoir un espace à soi pour travailler, c’est très important. Il y a d’ailleurs une écrivaine britannique qui s’appelle Virginia Woolf qui a écrit en 1929 un livre là-dessus qui s’appelle un bureau à soi où elle expliquait que si la sœur de Shakespeare avait existé elle n’aurait jamais pu écrire les œuvres de Shakespeare, non pas parce que les femmes étaient inférieures, mais parce qu’elle n’avait pas de bureau.

JEAN PHILIPPE : Elle n’a pas de bureau tout simplement, elle n’a pas son espace.

JACQUES : Elle n’avait pas d’espace. Donc, penser à s’isoler, évidemment, c’est un luxe, c’est un grand luxe d’avoir les moyens de s’isoler. C’est même une des… c’est pour ça que je pense qu’il faut repenser l’architecture des appartements en fonction de ça. Il faut avoir une pièce de bureau, c’est absolument vital dans le développement de l’être soi, du devenir soi.

JEAN PHILIPPE : Non, je pense que c’est une super plus que recommandation une incitation à chacun d’entre nous de réinventer cet espace-temps…

JACQUES : … les grands plateaux… chacun travaille avec les autres, c’est de la folie. Les entreprises, ça devrait être uniquement des lieux où on se rencontre pour créer et inventer des choses et quand on a besoin d’être ensemble, il faut vraiment avoir la possibilité de s’isoler.

JEAN PHILIPPE : Jacques, on arrive vers la fin. Je vais te poser ma dernière question, parce que tu as été très généreux avec ton temps, je te remercie. Pour tous nos auditeurs de ce podcast Leadership Positif, finalement, qu’est-ce que tu les invites à faire en 2022, on est encore en ce début d’année pour créer un futur positif autour d’eux et pour les générations futures ? Qu’est-ce qu’ils peuvent faire ou doivent faire selon toi ?

JACQUES : Être obsédés par ça, être obsédés par le monde de 2040, avoir un plan pour eux-mêmes pour 2030, 2035, 2040, être obsédés par ça et ne pas être terrorisés par l’avenir qui est en effet plein de nuages, mais aussi avec un soleil qui se lève à l’horizon. Voilà !

JEAN PHILIPPE : On va rester sur ces rayons de soleil alors. Je conclus, Jacques en essayant, ce qui est toujours un exercice très délicat puisque je le fais en temps réel de capturer trois moments, trois extraits de notre discussion ensemble et de les partager en direct. Moi le premier que j’ai retenu, la curiosité, la peur de l’échec et la niaque comme moteur de sa vie. Ça, j’ai beaucoup aimé. Le deuxième moment que j’ai énormément apprécié, c’est penser à l’enfant que j’ai été, qu’est-ce qu’il penserait de moi aujourd’hui ou demain ? Et puis, le troisième puisque j’avais lu ce livre et puis surtout je vois la manière dont tu le vis et tu nous incites tous à le vivre au quotidien. Devenir soi, c’est devenir, être le maître de sa vie. Donc, je clôture cet entretien en te remerciant infiniment, Jacques pour le temps que tu nous as consacré.

JACQUES : Merci, Jean-Philippe, c’était un grand honneur d’être partie de ta collection.

JEAN PHILIPPE : Non, je t’en prie et je te souhaite le meilleur, bien sûr pour 2022 pour toi et les tiens et merci à tous ceux et toutes celles qui nous écoutent. C’est le dernier épisode de notre saison 2 et nous reviendrons début mars pour la saison 3 du podcast Leadership Positif avec bien sûr des invités inspirants, des conversations passionnantes et à nouveau un grand merci à vous tous, à vous toutes et un grand merci à toi Jacques encore.