Positive Leadership

[FR] Un chemin de vie (avec Perla Servan-Schreiber)

Jean-Philippe Courtois Season 5 Episode 8

La cuisine est bien plus qu'une simple activité fonctionnelle : elle a une valeur culturelle, un pouvoir symbolique et une identité.

La vie de Perla Servan-Schreiber, la dernière invitée du podcast Positive Leadership de JP, témoigne à bien des égards du pouvoir de guérison des rituels, tels que la cuisine ou la lecture de poèmes, et de la manière dont ils peuvent nous centrer et nous lier les uns aux autres.

Perla a de merveilleuses idées à partager sur la manière dont nous pouvons tous aborder la vie avec un état d'esprit positif. Écoutez l'épisode en français maintenant.

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JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Bonjour et bienvenue dans Positive Leadership, le podcast qui vous aide à progresser en tant qu'individu dirigeant et enfin en tant que citoyen au sens le plus large. Nous avons tous le potentiel de bien vivre, d'avoir une belle vie. Mais comment y parvenir ? Mon invité d'aujourd'hui, Perla Servan-Schreiber, est quelqu'un qui a su capturer cet élixir magique appelé la joie de vivre et qui éclaire le chemin pour les autres. Elle est le talent qui a fait l'immense succès de Psychologies Magazine. Née à Fès au Maroc, elle est partie en France dans les années 1960 pour étudier à la Sorbonne et elle y est restée. C'est quelqu'un que j'admire beaucoup. Et notre conversation sur les choses essentielles de la vie m'a beaucoup touché. Comment travailler, rire, voir le bon côté des années qui passent, comment vivre avec les autres dans la joie et dans l'écoute, mais aussi sur l'une de ses plus grandes passions, la cuisine.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Le bénéfice de faire à manger n'est pas simplement de se nourrir, mais de nourrir et ainsi de tisser des liens avec d'autres. C'est la manière la plus simple et la plus forte de tisser des liens, en tout cas dans l'observation de ce qu'aura été quand même ma très longue vie désormais.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : À bien des égards, la vie de Perla témoigne du pouvoir thérapeutique de ce que l'on mange. Ce sentiment de confort et d'abondance qu'un repas bien cuisiné apporte au corps, mais aussi à l'esprit. Il y en a vraiment pour tous les goûts dans cet épisode et j'espère que vous l'apprécierez. Restez avec nous. Donc Perla, quand je me penche sur votre travail, votre parcours, l'une des choses qui me frappe le plus est l'importance que vous accordez à des rituels, des pratiques de méditation quotidienne dans lesquelles les mêmes actions sont répétées à l'identique. Vous êtes né, je crois, enfin je crois, je suis sûr. J'ai vu la date confirmée, donc en 1943 à Fès, dans une famille de rabbins depuis des générations, pour qui j'imagine les rituels sacrés faisaient partie du rythme familial de la vie quotidienne et je me demandais si c'est là que vous aviez puisé, compris finalement, le pouvoir de ces rituels. Comme quelque chose qui nous nourrit nous donne de l'énergie. Et je me demandais aussi quels étaient certains de ces rituels que vous aviez appris, que vous aviez créés par vous-même, pour vous même et que vous avez maintenant décidé d'intégrer dans votre quotidien ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Grande question que celle des rituels. Je suis un être de rituels. Et vous le savez et chacun le sait, nous n'en finissons jamais avec notre enfance. Évidemment que ça vient de là. Évidemment que mon enfance dans le profil de famille que vous venez de rappeler, et dans une société, je dois le dire à l'époque, à ma naissance en 43 et puis pendant mon enfance, était une société féodale.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Je suis passé d'une société féodale à la société, nous l'évoquions il y a un instant, du ChatGPT et le tout en 80 ans bientôt. Puisque j'aurais 81 ans à la fin de l'année. Donc l'accélération de cette évolution culturelle et du quotidien est immense. Il me semble,  je le vis ainsi en tous cas, que pour tenter de ralentir cette accélération, même qui est vertigineuse et qui est souvent très positive, je ne suis pas du tout du type de personne à dire qu'avant c'était mieux, absolument pas.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ouais.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Mais il est bon de pouvoir la ralentir et il me semble que les rituels ont cette fonction principale. Dans mon enfance, les semaines, les mois, les années étaient rythmés par la religion. Il y avait le shabbat qui était un jour sacré, il y avait les fêtes, il y avait les rituels. Malheureusement, je n'ai gardé que la musique de ces rituels puisque comme fille, on ne m'a jamais appris la loi juive. On m'a juste, on a juste exigé de moi que j'obéisse à tout ça. Puis la vie aidant, j'ai créé mes propres rituels qui sont tout aussi sacrés, tout aussi sacrés. J'ai des rituels du matin et pas d'un autre moment de la journée. Et puis, j'ai des rituels que je peux pratiquer tout le temps.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Lequel, ce matin par exemple ? En vous réveillant, ou peut-être plus tard dans la matinée ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : En me réveillant, mon premier geste c'est d'aller boire plein de café.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Plein de café.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Général. C'est très très tôt le matin, c'est vers 4 h.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ah oui.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Ensuite je médite, ensuite j'écris, ensuite je lis. Donc ça, c'est les rituels du matin.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ouais.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Ensuite il y a les rituels qui peuvent être le matin et dans la journée. Je marche beaucoup dans Paris et quand je peux, l'été je nage. Mais mon rituel quotidien, qui peut être à la fois du matin, de la journée du soir, c'est de faire la cuisine.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : La cuisine. C'est sacré, je ne savais pas. C'est devenu sacré chez vous la cuisine, j'ai l'impression.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : C'est sacré. D'abord, faire la cuisine, faire à manger est un geste sacré en soi. Puisqu'il nous permet de vivre. Et il nous permet surtout, je ne dirais pas surtout parce que quand même, vivre c'est la base, mais juste après il nous permet de tisser des liens et ça, c'est l'obsession de ma vie, c'est ce qui est nécessaire à ma vie.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Comme l'a dit Perla, cuisiner et manger sont bien plus que de simples activités fonctionnelles. Elles sont chargées de valeurs culturelles, de symboles et d'identité. Manger chez nous avec nos proches nous permet de prendre des nouvelles de la vie de chacun, de discuter de questions importantes et tout simplement d'apprécier la compagnie des autres. La nourriture est un moyen d'exprimer, de célébrer notre identité. Une bonne recette peut créer des souvenirs qui nous lient les uns aux autres. Alors j'ai récemment eu une conversation avec un prêtre hindou qui s'appelle Dandapani qui est quelqu'un qui a passé dix ans avec un guru, un prêtre hindou et qui après a évolué et transmet finalement son savoir et notamment autour de pratiques qu'il a utilisées, qu'il a développé auprès de ce gourou, pour réellement améliorer de manière considérable sa concentration. Le fait que sa conscience soit totalement centrée sur une seule chose à la fois, quelle qu'elle soit, et de donner l'attention la plus totale à une personne, à une, à une tâche, pourrait être d'écrire un livre. Ça pourrait être de faire la cuisine à 100 %. Et c'est assez fascinant comme discussion et la manière dont il le transmet aujourd'hui, bien sûr, sous des formes diverses et variées de coaching. En ce qui vous concerne, j'ai l'impression que vous avez cette faculté incroyable aussi de générer ce domaine de concentration. Comment faites-vous finalement à avoir cette attention totalement dédiée à ce que vous faites ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Je n'y parviens pas toujours, bien sûr, mais c'est un, en tout cas, il me semble que c'est peut-être une des meilleures manières de vivre, c'est-à-dire de profiter pleinement d'une chose à la fois.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : À la fois.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Le grand bénéfice de la cuisine, c'est que c'est une pratique cognitive. Ça, c'est différent de l'écriture. Et cette pratique cognitive est également un formidable exercice pour parler. Nous l'évoquerons tout à l'heure, du leadership, puisque c'est quand même un de vos thèmes centraux. Pour parler du leadership, c'est une activité cognitive en permanence. Un vraiment, diriger une équipe, diriger une entreprise est une entreprise cognitive en permanence et il y a dans cette économie de geste que la pratique de la cuisine vous invite à avoir pour travailler de manière plus concentrée, pour travailler plus vite aussi, ça, c'est important, parce qu'il y a un maître en cuisine absolue, c'est le temps, rien d'autre. On peut avoir des recettes ou ne pas en avoir, ça, c'est autre chose. Mais le temps, c'est votre maître absolu. Si vous voulez faire un œuf dur et que vous ne disposez que de 30 secondes, vous n'aurez jamais un œuf dur. Voilà. Vous pouvez être le patron de je ne sais quelle boîte. Voilà, ce n'est pas possible.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Savoir respecter le temps, absolument.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : On respecte le temps et ça aussi, c'est se mettre au service de plus grand que soit. C'est à dire, le temps est effectivement aussi une pratique, un exercice qui non seulement vous place à une juste place qui est celle de la modestie, puisque nous pouvons tous progresser éternellement et qu'il me semble qu'il est bon d'avoir cela en tête, quoi que nous fassions, même si on ne progresse pas en permanence, mais tenter de le faire et grâce aux autres, grâce à l'observation que nous avons de ce que font les autres, de la manière dont ils le font. Grâce à des lectures, grâce... tout ça permet d'être au mieux de soi et d'avoir ce sentiment de progression. Et il y a dans la fonction de leader, pas forcément leader d'une entreprise.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Bien sûr, bien sûr.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : On est aussi leader d'une famille, on est aussi, vous voyez ?

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Totalement.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Donc il y a tout ça qui joue en permanence. Et bien là, il y a une nécessité d'une capacité d'écoute qui, elle, n'est permise que par la concentration. Ce sont des petites choses, mais qui sont non seulement fondamentales pour vivre son propre quotidien dans sa propre petite vie, mais qui sont fondamentales pour vivre avec les autres.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Avec les autres.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Moi. Mon obsession, c'est vivre avec les autres dans la joie et dans l'écoute.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Alors, c'est un très beau démarrage dans la discussion, je trouve Perla, sur ces fondamentaux, cette base qu'on retrouve beaucoup dans la psychologie positive. On commence par soi. Établir une grande confiance en soi, une grande compréhension de ces mécanismes d'énergie positive qu'on peut générer physiquement, mentalement, cognitivement, et cetera, avant de pouvoir justement la communiquer aux autres et en démarrant par une écoute extrêmement profonde. Il y a chez vous un côté, on a commencé déjà très bien de le percevoir, je pense, dans ses premiers échanges, très méditatifs et contemplatifs. Mais il y a aussi un côté de vous, on va revenir un peu à votre enfance si vous me le permettez, plutôt rebelle et indépendant. Je sais que vous avez dû braver un certain nombre d'interdits dans votre jeunesse et je crois comprendre, enfin je vous ai entendu dire, en tout cas dans différents podcasts ou interventions, que vous avez toujours attaché énormément d'importance à la liberté. Liberté d'agir, de penser. Et en commençant par quitter votre maison à quatorze ans. Et donc alors, pourquoi finalement ce... qu'est-ce qui s'est passé pour ce départ de votre famille ? Et alors que vous étiez adolescente, qu'est-ce que ça a changé pour vous, pour le reste de votre vie, ce départ ?

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Dès l'âge de huit ans, c'était une obsession. Et c'est tout simplement parce que ma mère a été mariée à quatorze ans et elle a eu son premier enfant à quinze ans. Donc c'est une enfant qui s'est mariée et c'est une enfant qui s'est retrouvée mère du jour au lendemain. Nous, nous sommes six enfants. Moi, je suis le numéro cinq, mais on peut imaginer ce qu'a été le choc de cette femme quand elle s'est retrouvée avec un bébé, puis avec deux bébés pas loin de deux ans après, puis avec trois bébés pas loin de deux ans après. Et totalement coincée, perdue. Et elle m'a souvent répété alors que j'étais toute petite. Elle pleurait quand je rentrais de l'école, elle pleurait, elle était assise sur une chaise, juste à l'entrée de la cuisine, elle pleurait. Et je lui demandais pourquoi elle pleurait, et elle me disait : parce que si vous n'existiez pas, je serais partie.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oh.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Mais je ne suis pas libre, je n'ai pas d'autonomie financière, je n'ai pas mon argent à moi. Je ne peux pas partir.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ouais.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Ceci s'est gravé dans ma cervelle, dans mon corps, dans ma chair. Et je me suis dit, je serai d'abord autonome financièrement et je n'aurai jamais d'enfant. La bizarrerie, c'est que je n'ai pas eu d'enfant. Et la deuxième bizarrerie qui est une chance, c'est que je ne l'ai jamais regretté. Parce que nous avons quand même une horloge biologique.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Bien sûr.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Et la troisième bizarrerie qui est une chance, c'est que j'ai rencontré mon mari, Jean-Louis, j'avais 43 ans, il en avait 49. Lui, il a eu la bonne idée d'avoir quatre enfants et nous avons eu ensemble huit petits-enfants, si je puis dire. Nous avons eu la chance d'avoir ça. Donc la vie m'a plutôt gâtée par rapport à cette décision qui aurait pu être véritablement, d'abord comme elle est irréversible, ça aurait pu être une catastrophe. Et d'ailleurs, je dis au passage que choisir de ne pas faire d'enfant est encore aujourd'hui en 2023, très mal vu, mais très mal vu, je dois dire. Ça, ça fait partie d'un des derniers tabous...

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, à faire sauter.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Qui ne tombe pas.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ouais, ouais.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Qui ne tombe pas.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ouais.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Et à quatorze ans, j'ai été, j'ai choisi sur l'invitation de mes grands-parents qui me voyaient malheureuse, d'aller vivre chez eux pendant deux ans. Ça a été la chance de ma vie. Parce que j'avais des grands-parents exceptionnels.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Exceptionnels.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Et d'ailleurs, mon goût pour les vieux et pour la vieillesse vient de cet amour que je leur portais.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Je crois que quand vous étiez petite fille là encore, je ne sais pas à quel âge ,vous avez rêvé à m'en donner de devenir une danseuse étoile opéra. Je ne sais pas si je me trompe. J'ai entendu dire ça. Je vous ai entendu dire ça. Et ce qui finalement ne s'est pas produit. Alors pour parler un petit peu justement de votre énergie, de votre motivation, vous avez appelé aussi des bizarreries qui se sont passées, comment vous avez vécu cette déception ? Si ça en a été une, je ne sais pas. Et comment avez-vous imaginé votre prochain rêve ? Parce que finalement, c'était peut-être un rêve qui s'est éteint un moment donné. Parce que vous avez réalisé, que ce n'était peut-être pas pour vous. Je ne sais pas.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : À la réalité, je n'avais aucun talent pour devenir danseuse étoile, même si j'ai pu faire de la danse pendant, je ne me rappelle, plus cinq ou six ans. Et j'adorais ça. Évidemment, j'adorais ça. C'était, voilà, c'était le rêve, c'était le costume, c'était d'être l'étoile. Ce n’est quand même pas un mot banal d'être une étoile. Ça c'est quand même formidable au firmament comme ça, d'être une étoile. Et puis très vite, j'ai renoncé à ça parce que je commençais quand même à avoir un brin d'intelligence et de réalisme. Et je n'ai jamais, curieusement, j'aurais pu remplacer ce désir d'être, de briller, voilà, hein, c'est tout. J'aurais pu le remplacer par une autre fonction. Je n'ai jamais eu le sentiment de faire carrière. J'ai toujours choisi de faire le métier dont j'ignorais tout quand j'y suis entrée, qui est le métier de diriger d'abord la publicité d'un magazine avant de pouvoir créer avec Jean-Louis un vrai magazine, voilà que nous avons développé ensemble.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ouais.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Mais sinon, j'étais plutôt dans la publicité, dans à Elle et à Marie-Claire. Donc ce n'était pas le pire des tribunes. Mais je n'ai jamais eu envie de devenir numéro un, ni de l'un ni de l'autre. Et je ne dis pas du tout que j'en avais la capacité, mais je n'en ai jamais rêvé. Je n'ai rien fait pour ça.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ouais.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Et être le numéro un de quoi que ce soit ne m'intéresse aucunement, mais aucunement.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : D'accord.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : C'est à ce point. C'est très bizarre. Pas du tout. Alors la vie a fait que j'ai fini par faire pas mal de choses et que, bon, voilà, il y a eu quand même une reconnaissance que je trouve toujours, qui me surprend toujours et qui me touche au plus profond de moi et qui est arrivée comme ça, comme un cadeau. Bien sûr, j'ai travaillé, mais beaucoup d'autres gens travaillent. Mais c'est un cadeau du ciel.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : C'est un cadeau du ciel. C'est un peu le cadeau de cette étoile qui brillait sur...

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Peut-être. C'est assez joli.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Avec cette danseuse.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : C'est assez joli.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Alors pour revenir un petit peu justement sur votre parcours, vous avez obtenu un diplôme de droit au Maroc, vous êtes arrivée à Paris pour faire un doctorat à la Sorbonne. Jusqu'au moment où...

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : J'en ai eu ras le bol.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, ras-le-bol. Puis il y a aussi eu mai 68, je crois, qui était à peu près à ce moment-là. Justement, on parle, on enregistre ce podcast, cet épisode au moment, en fait, c'est un grand jour de grève nationale sur évidemment la discussion en cours sur les retraites. Alors, vous, pour faire un flashback, pour nous replacer en mai 68, comment vous avez vécu cette période ? Est-ce que vous aviez à ce moment-là l'idée un petit peu ou la réalisation de l'impact que ça pourrait avoir ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Alors moi, pour moi, mai 68 et pour la plupart des gens de ma génération, c'était une fête.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : C'était une joie extraordinaire. C'est le symétrique inverse de ce qui se passe aujourd'hui. Je parle de ce jour où nous parlons. Totalement différent. Ça s'est imposé à nous, ce besoin d'être libre, de libération, de casser, il y a eu évidemment un peu de casse quand même, hein ? Les pavés de Paris ont servi à autre chose qu'à simplement les piétiner pour avancer. Et il se trouve que cette année-là, j'habitais dans un foyer dit de jeunes filles qui étaient au 24 rue Bonaparte, et j'étais dans les gaz lacrymogènes jour et nuit. Rue Bonaparte, place Saint-Germain-des-Prés, l'Odéon, la Sorbonne, enfin je veux dire tout ça. J'étais au cœur de tout ça.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Au cœur de l'évènement.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Et c'était de la joie. C'était le mois de mai, il faisait beau, c'était une espèce de fête incroyable. Voilà ce qui me reste encore une fois aujourd'hui. J'ai eu cette chance d'appartenir et de vivre cette génération enchantée qui a duré 25 ans, où il y avait la contraception, le travail, l'autonomie financière et pas le sida.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Les événements de mai 1968 ont marqué le début du mouvement des femmes et la révolution sexuelle en France. Les travailleurs ont obtenu des salaires plus élevés, de meilleures conditions de travail et des syndicats plus forts en réponse à leurs revendications. Mais à bien des égards, cette révolution était culturelle, voire sexuelle avant d'être politique. Car avec la pilule contraceptive qui est apparue à la même époque, eh bien elle a marqué le début de la transformation de notre société. À l'époque, la France est d'une société farouchement patriarcale et Perla fait partie de cette génération qui aspirait à davantage de liberté. Elle a vécu l'avant et l'après. Pour elle, mai 68 a marqué une révolution personnelle qui lui a permis de devenir plus libre. En l'écoutant, je me dis qu'il ne faut jamais considérer la liberté d'aujourd'hui comme acquise.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Il y a eu dans ma vie et elle est, et ça existe encore aujourd'hui, cette obsession de liberté, même si on n'est jamais totalement libre. Même si j'ai pu parfois choisir d'être soumise...

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : À un choix.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Dans l'amour que je portais à un homme. Mais je l'ai choisi. J'ai été libre de le faire. Ce n'est pas du tout comme ma mère à qui ça a été imposé. Donc la liberté, ça peut aller jusqu'à choisir des contraintes.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ouais.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Vous voyez, c'est aussi, ça fait aussi partie de la liberté. On n'est pas simplement volé comme un papillon d'une chose à l'autre. Donc il faut savoir précisément quand même ce qui est essentiel dans la vie. Moi, je ne l'ai jamais perdu, ce qui était essentiel dans ma vie, je ne l'ai jamais perdu de vue. Moi, ce qui était essentiel dans ma vie, c'est de rester libre et de construire un couple. Ça, c'est vraiment la priorité absolue.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Alors, venons-en, si vous voulez bien Perla, à ce couple, évidemment, à la rencontre avec Jean-Louis Servan-Schreiber. Je crois que quand vous aviez 43 ans et tous les deux, vous êtes embarqués, si j'ose utiliser ce terme, dans une grande histoire d'amour d'abord. Et puis et puis également dans une incroyable aventure des aventures professionnelles, en rachetant le magazine Psychologies, qui était alors, je crois, une publication un peu de niche, assez confidentielle, et en vous inspirant, mais à votre sauce, j'allais dire à une très bonne sauce du magazine américain Psychology Today. Vous l'avez relancée en 1997 sous le nom de Psychologies Magazine, avec le slogan, Mieux vivre sa vie. Alors...

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : C'est Jean-Louis qui l'a trouvé.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Rendons à Jean-Louis évidemment ce qui lui appartient. Et donc, expliquez-moi quelle était la promesse que contenaient finalement ces quatre mots : mieux vivre sa vie. Et ce que vous vouliez faire fondamentalement, Jean-Louis et vous, avec ce magazine. C'était quoi l'idée et le désir que vous aviez en disant… ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Son intuition, parce que c'était son intuition, en rachetant Psychologies qui était un magazine dont j'ignorais l'existence sincèrement, complètement. J'ignorais l'existence. Jean-Louis le connaissait parce que quand les fondateurs de Psychologies l'avaient fondé, il avait été le voir, pour qu'il puisse rentrer dans le capital...

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Pour financier.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Et déjà à l'époque. Donc, il savait que ça existait et il ne le suivait pas parce que, comme vous le savez, il a développé d'abord un groupe de presse économique, donc il n'était pas vraiment dans la psychologie. Et puis un jour, bref, on nous a proposé de racheter ce magazine et nous l'avons fait. Lui savait exactement ce qu'il allait en faire. Moi j'étais absolument terrifié quand j'ai pris ce truc en main, parce que comme j'étais d'abord une publicitaire, je me suis dit, mais je vais faire quoi de ce truc ? Je veux dire, quand je veux aller voir Danone ou L'Oréal, ils vont me rire au nez. C'est impossible quoi. Bon, il y avait de la pub pour des tisanes et des, je ne sais pas quoi des voyantes, enfin c'était voilà, c'était à peu près de ce niveau-là. Donc je me disais bon, peu importe. Nous l'avons effectivement totalement transformé parce que l'intuition de ce magazine, l'intuition du positionnement, l'intuition du besoin dans la société qui était en train de naître sur, avec l'individualisme qui était vraiment déjà bien ancré dans notre société et qui manifestement, en tout cas Jean-Louis en avait la conviction, ne pouvait que croître et embellir. Ceci permettait de se tourner vers soi, ce qui peut être le comble de la sagesse et puis le comble de l'exaspération et de la démence.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Aussi, hein ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Mais il y a, il y a eu effectivement ce côté de : moi, je veux réussir ma vie qui n'est pas celle que va m'imposer ni mon père, ni ma mère, ni ma voisine, ni ma copine, mais la mienne, celle que je vais essayer déjà de nommer, de situer avant de pouvoir l'atteindre. Et là, il a eu totalement raison.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : L'intuition de Jean Louis fut la bonne. Le magazine que lui et Perla allaient lancer se plaçait à l'avant garde d'un large mouvement populaire, d'un type nouveau consacré à l'étude de l'esprit et au concept de la maîtrise et de la connaissance de soi en tant que facteurs fondamentaux pour atteindre le bonheur et réussir dans la vie. Perla pu apporter sa connaissance personnelle et son expérience de la psychanalyse et de la psychologie, ayant elle-même suivi une psychanalyse pendant plus de dix ans. Ensemble, elle et Jean-Louis, on fait de psychologie une PME de plus de 150 personnes et on atteint des sommets dont il n'avait d'ailleurs jamais rêvé. Lorsqu'ils l'avaient racheté en 1997, le magazine était diffusé à 75 000 exemplaires et dix ans plus tard, il tirait à plus de 350 000 exemplaires et était devenu le deuxième magazine féminin le plus vendu en France. Et en fait, à l'époque, je suis en train de me dire vous avez dû faire face quand même à un certain scepticisme, notamment les annonceurs. Vous connaissiez très bien le métier de la pub et qu'est-ce qu'il fallait faire pour pour les convaincre ? C'était quoi votre pitch, j'allais dire que vous alliez voir des des marques dans Psychologies Magazine en disant, écoutez...

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Pour vous donner une idée heureusement du chemin parcouru par les individus et donc par la société et par les entreprises, lorsque je suis allée voir le patron de Danone à l'époque avec le, je ne sais pas, ça devait être le deuxième ou le troisième numéro du magazine, il y avait un article sur l'acupuncture. Et j'ai vu qu'il s'était arrêté sur ce papier, non pas par une curiosité positive, j'ai envie de dire, mais plutôt par une espèce de frayeur. Tout d'un coup, il avait écrit acupuncture et il m'a dit : mais vous êtes une secte ? Évidemment, il y a quand même déjà des dizaines d'années que chacun d'entre nous a un acupuncteur ou a consulté une fois dans sa vie un acupuncteur. Voilà où nous en étions.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ah oui, effectivement.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Donc il y avait. Nous avons probablement très modestement contribué à cette progression et à cette évolution des esprits qui étaient déjà là. Sinon la mayonnaise n'aurait pas pris. Mais nous avons donné des arguments aux gens pour pouvoir aller de plus en plus là-dedans, aux entreprises, etc. Et ce qu'il y a eu de formidable aussi là-dedans, c'est qu'on a autorisé les gens à exprimer leurs émotions, leur singularité, y compris dans ce qui leur paraissait a priori négatif, mais au moins c'était la personne dans son entièreté qui s'exprimait, avec de plus en plus une confiance en elle et la conscience de ses limites. Donc on ne peut avancer qu'avec la conscience de ses limites, non pas parce qu'elles sont là pour toujours, il y en a qu'on peut parfaitement enjamber, mais il y en a avec lesquelles on doit apprendre à fonctionner parce que ce sont nos limites. Donc je crois que c'est cette intelligence, vous voyez au sens propre du terme, du fonctionnement de l'individu que nous avons su mettre, et notre équipe bien sûr, en des termes totalement accessibles...

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Accessible à tous.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Pas du tout en parlant à des malades, absolument, mais simplement à la complexité de chacun d'entre nous et au fait que nous sommes uniques. Chacun de nous est unique, mais chacun doit vivre en société. Donc c'est sur ce paradoxe fondamental qui est celui de l'humanité, qu'on peut commencer à avancer.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Alors, avançons ensemble justement sur ce grand projet de l'humanité et finalement au-delà des frontières. Parce que votre magazine, je sais, était non seulement le deuxième magazine féminin le plus populaire de France, mais il a connu aussi une grande réussite à l'international, notamment en Chine, en Russie, en Espagne. Dans des pays sur lesquels on se dit aujourd'hui, incroyables !

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : C'était formidable.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Et donc la question que j'ai envie de vous poser Perla, c'est vous qui avez une dualité de culture aussi marocaine et française, est-ce que dans toutes les cultures et finalement, quelles que soient et elles sont, elles peuvent être grandes, les différences de ces cultures...

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Énorme.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Est-ce que ce que veulent finalement les gens c'est aussi, vous avez trouvé, c'est apprendre à bien vivre. Est-ce que c'est un dénominateur commun qui traverse les frontières chinoises, russes ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Oui.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Et est-ce qu'il y a une réponse universelle à apporter à cette question, me mieux vivre...

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Il y a quelque chose d'universel dans le projet de vivre, certainement. Il y a déjà... On s'adresse déjà à des gens plus sophistiqués, s’il s'agit de vivre sa propre vie. Il y en a pour qui il suffit de, déjà si on arrive à vivre, déjà on est content. Mais ensuite, il y a de vivre sa propre vie et ensuite c'est de pouvoir améliorer la connaissance que l'on a de soi et qui nous permet de mieux avoir celle des autres. Lorsque j'ai eu la chance de développer le magazine avec une équipe bien sûr en Chine, en Russie, et puisque c'était déjà la Russie, en Chine, en Russie, en Italie, en Espagne et en Angleterre, moi je me suis occupé de ces pays-là, voilà. Et débarquer en Chine, j'ai posé la première question j'ai dit : est-ce que vous savez ce que c'est qu'un psychanalyste ou un psychologue ou un psychothérapeute ? Et on m'a dit, on a un hôpital psychiatrique à Shanghai et il y a un médecin psychiatre. Nous ne savons pas ce que ne sont ni les psychologues ni les psychothérapeutes. Là, j'ai fait glups et je me suis dit on va commencer par quoi ? Dites-moi sur quoi vous voulez communiquer. Qu'est-ce qui est essentiel pour vous ?

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Et ces femmes m'ont dit on veut simplement pouvoir vivre notre vie convenablement. Ça veut dire savoir éduquer nos enfants, savoir rencontrer des personnes, une personne avec qui on aurait envie de faire sa vie, pouvoir se loger convenablement et sortir de cette promiscuité. Ça, c'était la Russie. C'était terrible à quel point les problèmes de promiscuité vraiment au sein d'une même famille étaient terrible, terrible. Il faut dire que quand même, trois quarts des hommes étaient alcooliques, en tout cas, à l'époque.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : C'était en 2000, ouais.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Je crains que ce ne soit devenu pire. Mais enfin bon, à l'époque c'était comme ça. Donc c'était, tout le monde habitait dans une seule pièce. Et c'est la grand-mère qui élevait l'enfant unique. Pas simplement l'enfant unique en Chine, il y avait l'enfant unique en Russie. Il n'était pas imposé, mais c'était impossible d'avoir plus d'un enfant. Et pouvoir vivre simplement chacun dans sa pièce et travailler et que nos enfants puissent se développer, aller à l'école. Donc ça c'est au fond ce que chaque humain veut partout. Voilà. Mais nous ne partons pas du même point.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ce que Perla réussit à faire, c'est définir un langage commun et trouver un dialogue qui transcende les frontières. En l'écoutant, je suis frappée par la force de son envie d'aider les gens à en savoir plus et à s'épanouir davantage. D'apporter à chaque femme l'inspiration et les conseils qui peuvent l'aider à améliorer son bien-être émotionnel et surtout à mieux trouver sa place dans le monde. J'ai voulu savoir quels enseignements Perla avait trouvé utiles pour elle-même. Elle avait indiqué avoir suivi une psychanalyse pendant plus de dix ans. Je lui ai demandé donc comment elle avait vécu cette expérience et comment celle-ci lui avait appris à mieux vivre sa vie.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Ce que m'a apporté la psychanalyse, c'est la définition même de la sérendipité. Ça veut dire qu'on trouve ce qu'on ne cherche pas.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Une forme de hasard.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : C'est un phénomène qui nous arrive à chacun, si on veut bien se pencher là-dessus et l'observer.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Et heureusement qu'il nous, on parvient aussi à atteindre des choses que nous voulons atteindre et que nous énonçons comme un but, comme tel. Mais il y a aussi ce que j'appelle des cadeaux de la vie et ce qui vous arrive sans le chercher. Il y a aussi des drames qui vous arrivent, sans les vouloir bien entendu. Et il nous reste à les vivre, que ce soit des drames ou que ce soit des belles choses. Mais ça, en psychanalyse, j'y suis allée parce que je n'étais pas très bien dans ma peau. À l'extérieur, personne ne pouvait d'ailleurs le remarquer. J'ai toujours été joyeuse, j'ai toujours été bosseuse, j'ai toujours veillé. Je n'ai pas du tout été plus souffreteuse ou malade, ou je ne sais quoi. Donc ça, c'était entre moi et moi. Et en même temps, je me disais, mais je peux devenir un être humain meilleur, probablement. C'était ça qui m'intéressait. Et au fond, ce que j'y ai trouvé, c'est que j'avais déjà pas mal de chance dans ma vie de pouvoir vivre malgré un certain nombre de traumatismes d'enfance qui auraient pu franchement peser complètement. Et la première fois que j'ai entendu parler de résilience, c'est par ma psychanalyste qui m'a dit : mais vous êtes une des personnes les plus résilientes que j'ai jamais reçues en traitement. Je ne savais pas ce qu'était résilient. Je lui ai demandé de m'expliquer ce que c'était. Donc la psychanalyse vous permet juste d'essayer d'établir des liens entre un comportement et un résultat, entre un comment dirais-je, un point d'éducation problématique et les conséquences que ça peut avoir. Et entre le fait de pouvoir être au mieux de son énergie. C'était déjà le mot qui intervenait.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Énergie.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Au mieux de son énergie pour pouvoir avancer, en tout cas sur son chemin, au rythme qui est le mien et ne pas retarder les choses. Voilà, c'était ça.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Alors j'aimerais maintenant qu'on se penche ensemble, qu'on discute un petit peu ensemble de cette, de ce vieillissement et dont on a parlé. Vous avez parlé et vous l'avez surtout très bien écrit. Alors, il y a de nombreuses cultures dans le monde, d'ailleurs, on parlait tout à l'heure de différents pays du monde. Eh bien, il y a certains pays qui célèbrent le processus de vieillissement, qui vénèrent leurs anciens. Mais quand même, dans beaucoup de cultures occidentales, ce n’est pas trop le cas. On est plutôt à idolâtrer la jeunesse ou rester éternellement jeune, en tout cas de manière physique, externe dans l'apparence. Et c'est quelque chose qui inquiète un grand nombre d'entre nous qui tentent évidemment de rester jeunes pour l'éternité, enfin, si tant est que ça puisse être l'éternité, qui ont peur de vieillir. Et il y a une école, je sais, de psychologue selon laquelle cette crainte occidentale du vieillissement nous empêche d'ailleurs de vivre pleinement nos vies, aujourd'hui encore plus demain. À l'âge de 75 ans, vous avez écrit : « Les promesses de l'âge », pour tenter de contrer justement certaines de ces idées négatives qui entourent le vieillissement. Alors comment peut-on apprendre à aimer vieillir ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : D'abord en étant dans une nouvelle réalité et en consignant cette nouvelle réalité. Alors, je sais qu'elle est difficile, même à croire, alors que vous voyez c'est, Yann Arthus Bertrand me disait un jour à propos de l'écologie, il m'a dit : Perla vous savez, les gens n'arrivent pas à croire ce qu'ils savent. Et c'est exactement ce qui se passe. Quand on me dit souvent, très souvent, j'ai bientôt 80 ans, c'est incroyable, vous ne faites pas votre âge. Mais j'ai dit : mais c'est devenu la règle. Je suis loin d'être la seule. Vous êtes entourés de gens qui, à 60 ans, ne font pas leur âge, à 70 non plus, à 80 non plus et à 90 non plus. Donc, c'est comme, la réalité d'aujourd'hui est là. Mais l'imaginaire de la vieillesse, celui-là, il est fixe et il est très, les imaginaires sont très difficiles à faire bouger, très difficiles. Je pense que dans toutes les cultures, pas simplement dans celles que j'ai eu la chance de connaître parce que j'étais encore au stade d'une société féodale où on honorait les anciens, les vieux, vraiment. Mais, je crois que dans tous les pays, on a honoré longtemps les vieux. Et puis ce surgissement du jeunisme, sincèrement, dont je ne sais pas d'où il sort, mais enfin, probablement de l'industrie cosmétique, je n'ai rien contre de l'industrie cosmétique, je me mets des tas de produits tout le temps, partout, donc ce n'est pas ça le problème. Mais il y a, ils ont mis en exergue cette image de la jeunesse et seulement de la jeunesse. Bien sûr que la jeunesse, c'est merveilleux. Bien sûr, et comment ? Mais il n'y a pas de beauté, ni de créativité, ni d'énergie, que dans la jeunesse. Ce que la jeunesse a incontestablement de plus que la vieillesse, lorsqu'on a la chance de ne pas être malade et lorsqu'on a la chance de rester en activité, ça, c'est, je le répéterai jusqu'à la fin de mes jours. Mais ce qu'il y a d'étonnant, c'est ce qu'il y a de commun entre la jeunesse et la vieillesse aujourd'hui, c'est-à-dire l'envie de continuer à vivre.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : À vivre.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Il ne s'agit pas de dire aux gens voilà comment bien vieillir, pas du tout. Il s'agit de dire aux gens, voilà comment bien vivre jusqu'au bout, avec la vieillesse ou avec la jeunesse. Et moi, je n'ai qu'une réponse à apporter à ça, outre encore une fois, la chance de ne pas être malade, et même vous avez rappelé que j'ai eu une maladie hélas grave. Mais aujourd'hui une femme sur cinq a un cancer du sein, mais j'ai la chance de vivre en France, merci la France pour et d'en avoir, on ne dit pas guérit, mais bon peu importe, en sursis. Mais il y a incontestablement quand on n'est pas malade et qu'on a la chance de pouvoir rester en activité, je pense que la seule solution possible aujourd'hui dans nos sociétés, c'est de faire vivre ensemble les personnes âgées et la jeunesse.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Et la jeunesse.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Les deux, aujourd'hui, je trouve que les problèmes de la jeunesse, globalement, sont infiniment plus lourds à résoudre que les problèmes d'une vieillesse à peu près honorable, que de plus en plus de gens peuvent vivre. Et de nous mettre ensemble, quand je vois la chance que j'ai de partager du temps avec mes petits enfants qui sont trentenaires, et je me dis tant qu'ils auront envie de m'embrasser, j'aurais dit que j'ai à peu près réussi ma vie. Si je n'avais pas un brin de curiosité et si je n'essayais pas de rester au mieux de moi-même, si je ne m'intéressais pas à eux, mais ils ne viendraient pas me voir, tout simplement. Donc il y a des choses. S'ils viennent aussi, c'est parce que je leur apporte des choses et qu'eux m'en apportent infiniment. Comment peut-on se priver de cet échange-là ? Mais ça, il faut commencer, même évidemment, et d'abord par l'urbanisme. Il faut déjà concevoir des lieux communs.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Il y a comme un vide dans les caisses intergénérationnelles, peut-être encourager, faciliter.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Encourager, faciliter, faciliter. Vraiment, vraiment, vraiment.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Perla, on arrive presque à la fin. Donc mes deux dernières questions. Alors dans votre livre : « Mes 77 secrets de vie », vous donnez toute une foule d'idées extrêmement intéressantes sur l'amour, sur l'amitié, l'importance de nouer des relations. Et le premier secret de cette liste est, Lis un poème chaque jour, tu seras plus humaine. Alors pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est si important de lire et en particulier la poésie ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Alors c'est quelque chose d'assez récent dans ma vie, j'avoue. La rencontre avec Christian Bobin non pas hélas, la personne que j'ai à peine rencontrée, mais jamais connue puisqu’on sait que Christian Bobin nous a quittés au mois de novembre dernier. Christian Bobin, son écriture a été pour moi une vraie rencontre, comme une rencontre amoureuse. C'est-à-dire que je me suis reconnue dans ce qu'il écrivait. Non, pas du tout, parce que je serai même capable d'écrire 1000 fois moins bien que lui, mais je me reconnaissais par la musique de ces phrases. J'ai été frappée par ce qu'il racontait et par la musique de ses phrases. Depuis, j'ai lu à peu près tout Bobin. Waouh. J'ai toujours sur ma table de chevet 2 livres de Bobin. J'ouvre tous les jours un livre de Bobin, ne serait-ce que pour lire une phrase et le refermer. Et depuis la mort de Jean-Louis, lire de la poésie plus largement, bien sûr, que celle de Bobin est devenue pour moi, comme de l'eau pour la soif. C'est un apaisement que j'ai trouvé dans la lecture de la poésie et je me hasarde évidemment, ne serait-ce que pour moi-même, à en écrire de temps en temps. Et il y a une musique, des phrases que j'ai captées. Non, pas du tout dans Éluard ou dans Bobin, voilà, pour essayer de reproduire. Mais j'ai compris qu'il pouvait y avoir une musique dans l'écriture. Et il me semble que j'arrive à capter la mienne, de temps en temps. Ce n'est pas du tout pour publier, mais c'est une une manière d'aller, vous savez, c'est comme Christophe Colomb quand il est arrivé en Amérique. Voilà, j'imagine. Vous voyez, vous découvrez tout d'un coup un autre monde, avec une autre musique, avec une autre sensibilité qui vous sort complètement du quotidien.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : S'il y a un seul ouvrage que vous, enfin un premier ouvrage, plutôt un seul que vous recommanderiez de Bobin, justement à nos auditeurs, ce serait lequel pour commencer ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Ce serait : « L'homme-joie ».

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : L'homme-joie ? D'accord. Voilà. Notez bien.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : C'est celui que je recommanderais.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : L'homme-joie. Alors, ma toute dernière question Perla. Si finalement on ne devait retenir qu'un seul secret, quel serait-il pour une jeune Perla qui aurait 18 ans aujourd'hui ? Ça serait quoi ce secret ?

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Ce serait du travail, rit et aime.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Travailler, rire et aimer. Un si beau triptyque et une si belle idée pour conclure cette discussion avec Perla. Je lui suis extrêmement reconnaissant d'avoir pris le temps de parler avec moi. C'est quelqu'un qui embrasse pleinement les quatre piliers fondamentaux de notre vie l'esprit, le corps, le cœur et l'âme, pour prendre à bras le corps le monde qui l'entoure et le monde intérieur afin d'aider les autres à découvrir comment faire de chaque jour, un jour meilleur. Eh bien Perla, je vous remercie du fond du cœur, de tout ce temps que vous nous avez accordé et puis surtout de la joie que vous m'avez donnée déjà à moi et j'en suis certain, je suis certain à beaucoup de nos auditeurs qui aime échanger ensuite sur les épisodes de ce podcast. Et pour moi vous êtes vraiment un exemple vivant, vibrant de leadership positif. Totalement.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Eh bien, frottez-vous aux gens joyeux. C'est contagieux.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : C'est totalement contagieux. Perla, mil mercis et...

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Merci.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Portez-vous bien et continuez à faire toutes les belles choses que vous faites en termes de cuisine, en termes d'écriture, de poésie et tous vos rituels du matin, de l'après-midi et du soir. À bientôt Perla. Au revoir.

 

PERLA SERVAN-SCHREIBER : Merci, merci, au revoir.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Vous écoutiez Positive Leadership, un podcast qui cherche à enrichir votre vie émotionnelle en vous proposant des étapes simples et réalisables pour effectuer ces petits changements qui peuvent faire une vraie différence. Nous avons dans nos archives des dizaines d'épisodes en anglais, en français avec des leaders enthousiasmants comme Satya Nadella, le PDG de Microsoft, Jacques Attali, l'écrivain conseiller politique, Alice Barbe, la Présidente de l'Académie des Futurs Leaders en France et bien d'autres encore. Si vous avez aimé l'épisode d'aujourd'hui, n'hésitez pas à aller les écouter et à parler de nous autour de vous. Et n'oubliez pas non plus de vous abonner sur votre plateforme de podcast préféré. À la prochaine fois ! Au revoir !