Positive Leadership

[FR] Changer le monde grâce au journalisme d’impact (avec Hugo Clément)

Jean-Philippe Courtois Season 6 Episode 8

Hugo Clément est un journaliste bien décidé à faire bouger les choses. Il a créé sa propre société de médias indépendante, Vakita, pour faire entendre sa voix et diffuser des enquêtes approfondies avec le souci de l’intérêt public, qui lui tient à cœur.

Il est impossible de ne pas être ébranlé par sa force de conviction et son énergie et c’était un plaisir de l’inviter dans le podcast Positive Leadership, pendant lequel nous avons discuté de l’influence du journalisme et des moyens de faire bouger les choses. 

Écoutez-le dès maintenant !

Subscribe now to JP's free monthly newsletter "Positive Leadership and You" on LinkedIn to transform your positive impact today: https://www.linkedin.com/newsletters/positive-leadership-you-6970390170017669121/

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de "Positive Leadership," le podcast qui vous aide à progresser en tant que personne, que dirigeant et enfin en tant que citoyen au sens le plus large du terme.  

 

HUGO CLÉMENT : Le critère pour moi, c'est quel impact ont les reportages ou les enquêtes qu'on fait. Si ça, ça vous choque, si vous trouvez que cette situation est anormale, voilà ce que vous pouvez faire, entre autres, pour agir sur cette situation. Et ça permet de redonner le pouvoir un peu aux gens, de leur permettre d'arrêter de subir uniquement. Et moi, je pense que l'espoir se trouve dans l'action, c'est-à-dire que si vous voulez garder espoir, rester optimiste, il faut être dans l'action et le mouvement. Et si vous vous contentez de subir quelque chose, forcément ça ne rend pas très heureux. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Mon invité d'aujourd'hui, le journaliste et militant Hugo Clément, est l'une des grandes voix du mouvement écologique en France aujourd'hui. Dans une époque submergée par des nouvelles déprimantes venant du monde entier, où les gens se demandent ce qui se passe, le travail de Hugo a un double impact. Tout d'abord, en sensibilisant le public, et ensuite en déclenchant des actions. Il montre qu'il existe de meilleurs moyens de faire les choses, que les idées fourmillent, et que chacun d'entre nous peut rendre les choses meilleures de multiples façons. 

Après s'être distingué sur le petit écran par son engagement envers le bien-être animal et la protection de l'environnement dans des émissions comme "Le Petit Journal" et "Quotidien," il est davantage connu depuis 2019 comme présentateur de l'émission "Sur le Front" sur France 5, où il expose en pleine lumière des scandales environnementaux et des projets industriels destructeurs. En voyageant à travers le monde, nous avons l'occasion de rencontrer les hommes et les femmes qui se battent pour défendre la planète. L’an dernier, Hugo a créé sa propre entreprise de média indépendante, Vakita. Décidé à conduire un journalisme sérieux, le type de journalisme qui exige des investigations et des analyses fouillées, tout en touchant les personnes. 

J'étais vraiment très impatient de le rencontrer et nous avons abordé de très nombreux sujets au cours de notre discussion. Nous avons parlé du rôle du journalisme, de ce qui le motive personnellement, et des moments clés qui ont transformé sa façon de voir les choses. C'est absolument passionnant, alors surtout restez avec nous jusqu'à la fin. 

Hugo, je suis ravi de t'accueillir dans ce podcast du leadership positif.  

 

HUGO CLÉMENT : Ravi aussi. Merci beaucoup, très content d'être là.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Alors, tu es né à Strasbourg en 1989, et tes parents, si j'ai bien compris, étaient professeurs de sociologie. 

 

HUGO CLÉMENT : Oui.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Alors, quels souvenirs gardes-tu de ton enfance ? On a tous des images, et au-delà des images, on a aussi souvent des attitudes, des fois des valeurs qu’on partage ou pas d'ailleurs, de ses parents, voire même une vision du monde. Est-ce que tu peux nous dire un petit peu ce que toi tu incarnes ou pas, que tu as pris, voilà, de cette enfance. 

 

HUGO CLÉMENT : Je pense qu'on prend tous et toutes de nos parents, qu'on le veuille ou non, il y a quand même des choses qui se transmettent. 

Je pense que ce que j'ai hérité de mes parents avant tout, c'est la curiosité pour comprendre le monde et décrypter les relations entre les gens. Mes parents sont profs de sociologie, donc c'est la science humaine qui consiste à décrypter les rapports sociaux, et je pense que cette curiosité d'essayer de comprendre ce qui se passe, de comprendre le monde, me vient quand même de là. 

Et puis, je pense aussi que j'ai hérité de mes parents un amour et un plaisir à être dans la nature. Mon père est quelqu'un de très marin, il est né à Oran en Algérie, donc il a grandi au bord de l'eau. Il a commencé à faire de la chasse sous-marine très jeune. Aujourd'hui, il a un voilier sur lequel il passe beaucoup de temps, donc il est très attaché viscéralement à la mer et à l'océan. Et ma mère, elle est plus tournée vers la montagne. Elle a fait du ski à un assez bon niveau, elle a passé beaucoup de temps en montagne, hiver comme été. Donc, cet émerveillement face à la beauté de la nature, face à la force de la nature et l'importance de la préserver, je pense qu’il y a quand même une graine qui a été plantée par mes parents pendant mon enfance. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Et tu es plutôt mer ou montagne ou tu es les deux ? 

 

HUGO CLÉMENT : Moi, je suis vraiment les deux. J'ai un bon équilibre entre mes deux parents. J'adore… J'habite à Biarritz aujourd'hui, au bord de l'océan, donc c'est devenu mon environnement quotidien, on va dire. J'emmène les filles à la plage après l'école, donc c'est vraiment un lien quotidien avec cet élément-là. Et j'aime beaucoup l'eau, je suis très à l'aise dans l'eau, j'aime beaucoup nager, plonger, etc. Mais en même temps, l'hiver, j'apprécie aussi d'aller faire du ski de randonnée, des sorties en raquettes, donc voilà un bon mélange des deux.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Et sinon, dans la vision du monde, peut-être aussi ? 

 

HUGO CLÉMENT : Dans la vision du monde, oui… Quand je disais cette curiosité et puis l'envie de comprendre les mécanismes derrière les grands phénomènes sociaux, quoi. Et puis le goût du débat aussi. Mon père et ma mère, d'ailleurs, étaient à un moment militant dans des partis politiques, le parti socialiste à l'époque, pour rien te cacher. Et donc, il y a toujours eu à table des échanges, parfois houleux, parfois tendus. Mon père a vraiment ce goût du débat et ce goût de l'argument et moi, bon, voilà, mon adolescence a été façonnée par ça, par les débats enflammés avec mon père où j'essayais de prendre des positions inverses des siennes, comme tous les adolescents… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Bien sûr, face à son père, c’est normal. 

 

HUGO CLÉMENT : Pour se construire. Et donc voilà, je pense que j'ai hérité quand même aussi de ce goût pour l’échange, parfois même l’échange un peu musclé. Voilà, je n'ai pas peur de défendre… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Le fait de débattre. De savoir débattre… 

 

HUGO CLÉMENT : Voilà ! Le fait de débattre et de savoir discuter 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Comprendre, écouter des arguments et présenter les siens et avoir des points de vue différents, comme on dit. 

 

HUGO CLÉMENT : Exactement. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Alors, tu as déjà raconté dans pas mal de podcasts, d'émissions comment tu as décidé de faire du journalisme. Je pense qu'au départ, tu disais, je pense, tu souhaitais faire un travail intéressant qui te ferait bouger et éviter de rester derrière un bureau. Alors, ceci dit, on peut être postier, on peut être un commercial, on peut être un coach sportif, c'est vrai. Mais toi, tu as décidé d'être journaliste. Donc pourquoi ?  

 

HUGO CLÉMENT : C'était vraiment le goût de l'aventure. 

Alors, c'est vrai qu'il y a plein de métiers qui permettent d'être dehors et de faire des choses, mais moi je voyais le journalisme, parce qu'il y avait un autre rituel à la maison, c'est que mes parents regardaient le journal de 20 h de France 2 tous les soirs. Et donc je regardais le journal de 20 h de France 2 tous les soirs avec mes parents et j'ai des souvenirs d'enfance très présents sur les grands événements que j'ai suivis avec mes parents devant le journal de 20 h de France 2, notamment le 11 septembre 2001. Je me rappelle très précisément de cette scène-là. 

Et je voyais en fait ces reporters qui étaient chaque semaine dans un endroit différent, au cœur de l'actualité, là où il se passait quelque chose, dans des pays très lointains ou d'ailleurs pas si lointains, mais en tout cas dans cette émulation de l'actualité. Et ça m'a donné envie en fait d'être à leur place et moi aussi de parcourir le monde et d'aller voir ce qui se passe. C'est, encore une fois, cette curiosité, je pense, qui s'exprimait. 

Et c'est vrai que quand j'ai commencé mes études supérieures, moi, mon angoisse, c'était de me retrouver avec un boulot de cadre dans un bureau, avec des horaires, derrière un ordinateur. C'est vraiment quelque chose qui me faisait peur et qui me fait encore peur aujourd'hui. Je ne tiens pas trop en place très longtemps et donc voilà, je me suis tourné vers le journalisme. 

Et puis, quand j'étais au lycée, il y a eu une période assez agitée socialement. C'était l'époque du Contrat Première Embauche de Dominique de Villepin, où il y avait de grands mouvements sociaux. Et donc, moi, lycéen, je participais à ces grandes manifestations, je voyais tout ça et je voyais les journalistes travailler, en fait, je voyais les journalistes dans les manifestations, dans les moments parfois un peu chauds, et je me disais, c'est quand même un métier qui est cool, quoi, on est payé pour raconter ce qui se passe, pour regarder ce qui se passe. Et donc, voilà, ça a été la motivation première. Pour être tout à fait honnête, ce n'était pas du tout une motivation, on va dire, sur le fond du métier. Je me disais pas, je vais défendre la démocratie, c'est un métier indispensable au fonctionnement démocratique. J'avais pas ces réflexions-là au début quand j'ai eu envie de faire ce métier, c'était vraiment pour l'aventure… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : C’était le côté l’aventure, fun et le fait de dire, j'allais être au cœur d’une action au quotidien et qui allait me stimuler. 

 

HUGO CLÉMENT : Exactement. 

Et puis, c'est devenu après… En découvrant ce métier, en faisant des stages, j'ai aussi commencé à apprécier et à comprendre l'importance de ce métier… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Et que c’est un vrai métier aussi. 

 

HUGO CLÉMENT : Bien sûr ! Et que c’était un vrai métier et que ça s’apprenait. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : On va revenir là-dessus, Hugo, bien sûr. Alors, à quel moment, notamment dans ton parcours, tes expériences personnelles et professionnelles, t’es venu cet engagement pour les questions environnementales et sociales ? Tu as déjà parlé un peu de tes parents, évidemment, qui t'ont ouvert, j'ai l'impression, l'esprit, mais est-ce que tu veux parler un petit peu de ce parcours, de cette découverte qui fait qu'à un moment ça a allumé en toi un début d'envie de combat, quoi, voire peut-être une vocation, en disant, bah tiens, le journaliste, au-delà du fun et de l'action, j'ai quand même une direction que je veux lui donner autour de ces combats-là ? 

 

HUGO CLÉMENT : Ouais, complètement. C'est venu à travers mon métier, en fait, et à travers les reportages que j'ai été amené à faire, où je me suis retrouvé à être témoin de choses, de destruction de l'environnement ou d'événements qui m'ont fait prendre conscience de ce qui se passait, en fait, tout simplement, parce que j'entendais parler de l'environnement comme tout le monde, voilà, avec une oreille un peu distante, ça m'intéressait pas plus que ça, pour être honnête. 

Et quand je vois les gamins aujourd'hui au lycée qui sont très au courant de ce qui se passe, très engagés, alors pas tous, au sein des générations, tout n'est pas homogène, mais il y a quand même un niveau de connaissance de ces enjeux qui est très élevé. Moi, avec mes potes au lycée, je parlais pas du tout d'environnement, de climat, de biodiversité, ça me passait complètement au-dessus de la tête. 

Et donc, c'est vraiment à travers mon métier, ce métier qui nous donne quand même la chance incroyable d'aller voir de nos propres yeux ce que les autres, ou la plupart des autres, voient à la télévision ou lisent dans les articles et donc, je me rendais compte que partout où j'allais, en France ou à l'étranger, il y avait des problématiques environnementales, il y avait des catastrophes qui étaient en cours. J'ai été amené à rencontrer aussi des scientifiques, des experts, qui m'ont aidé à construire un peu ma culture, à m'éduquer aussi sur ces questions-là. 

Et puis, sur la question des animaux plus particulièrement, parce que mon engagement est venu aussi à travers cette question-là, il y a mon frère, mon grand frère Xavier, qui a joué un rôle, parce qu'il a depuis très longtemps été sensible à cette question animale, il m'a offert un livre qui s'appelle "Faut-il manger les animaux ?" de Jonathan Safran Foer, qui a été vraiment un déclic pour moi. 

Et puis, là encore, mon métier m'a amené dans des lieux que je ne connaissais pas, je n'imaginais absolument pas ce qui se passait, à savoir les élevages intensifs, à savoir les abattoirs, à savoir les bateaux de pêche industriels. Et de le voir de mes propres yeux, forcément, ça crée quelque chose. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Je voudrais rebondir ici sur ce que Hugo a dit à propos du livre de Jonathan Safran Foer, "Faut-il manger les animaux ?", de l'effet que ce livre a eu sur lui et de la façon dont il l’a aidé à passer à l'action. Publié il y a 14 ans, cet ouvrage est un vibrant plaidoyer contre la consommation d'animaux. Parmi ses principaux arguments, il cite notamment, tout d'abord, en premier lieu, l'impact sur la santé humaine. Des liens ont été établis entre la consommation de produits animaux provenant d'élevages industriels et de très nombreux problèmes de santé, notamment l'augmentation de risque cardiaque, de cancer et d'autres maladies chroniques. 

Ensuite, le traitement des animaux. Les pratiques d'élevage industrielles impliquent souvent des traitements cruels et inhumains envers les animaux, qui les obligent à vivre dans des conditions désastreuses et à souffrir avant d'être abattus. 

Et puis, enfin, c'est l'impact environnemental, bien sûr, l'élevage est l'un des plus gros contributeurs au changement climatique et à la dégradation de l'environnement. Les chercheurs de l'Université d'Oxford ont calculé qu'en éliminant les produits carnés et lactés de notre régime alimentaire, on pouvait réduire de 73 % notre empreinte carbone due à la nourriture. C'est tout simplement énorme. 

Jusqu'à l'âge de 26 ans, Hugo, comme un grand nombre d'entre nous, a mangé beaucoup de viande et de poisson, mais après avoir lu ce livre et constaté par lui-même ce qu'était vraiment l'élevage industriel, il a décidé de devenir végétarien. Quelques années plus tard, il a publié son propre livre, "Comment j'ai arrêté de manger les animaux."  

 

HUGO CLÉMENT : Pourquoi j'ai ressenti le besoin d'en parler ? Parce que ça a vraiment été un choc pour moi, en fait, de découvrir l'envers du décor et de découvrir comment était produite la viande et le poisson qu'on mangeait. Comme tu le disais, pendant 26 ans de ma vie, je me suis pas posé la question, je ne me demandais pas du tout d'où venait ce qui se trouvait dans mon assiette, et ça me dérangeait pas plus que ça. Et puis, en lisant ce bouquin, en allant moi-même dans un élevage intensif... J'en ai fait des dizaines, des élevages intensifs, maintenant… En rencontrant des ouvriers d'abattoirs, en parlant avec eux, en rencontrant aussi des spécialistes de l'intelligence animale qui m'ont sensibilisé sur la complexité de l'intelligence animale et à quel point on est proches d'eux, en fait, à quel point on a des points communs avec eux, eh bien, ça a vachement rebattu les cartes. 

Et quand je suis ressorti de cet élevage de porcs où j'ai vu ces centaines de cochons entassés dans des petits enclos sans aucun accès à l'extérieur, ce qui représente 95 % de l'élevage de porcs aujourd'hui en France, c'est l'élevage en bâtiment fermé, sans accès à l'extérieur, avec ces truies dans des cages individuelles où elles ne peuvent même pas bouger, même pas se retourner. Je suis sorti de là, je me suis dit, "C'est pas normal, ce que je viens de voir, c'est pas quelque chose de sain, c'est pas quelque chose de normal." Et bah, la prise de conscience était enclenchée. Et une fois que vous faites ce chemin-là, c'est difficile de rembobiner et de se dire, "Non, j'annule tout, je veux pas savoir." 

Et donc, j'ai ressenti le besoin d'en parler, parce que je suis convaincu que notre rapport aux animaux aujourd'hui, il est nourri par notre méconnaissance de la situation. On sait qu'il y a des élevages un peu crades, on sait, mais on veut pas trop le savoir. Finalement, ça nous arrange bien de pas trop en parler, de pas avoir trop d'informations. Souvent, la réaction des gens quand vous leur montrez des images que j'ai filmées dans ces élevages-là, c'est "Je veux pas voir ça, je veux pas voir ça." Parce qu'on sait que c'est quelque chose qui n'est pas normal… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : On veut l’ignorer. 

 

HUGO CLÉMENT : Au fond de nous-mêmes, on sait qu'il y a un problème. 

Et donc, je pense que l'information, c'est capital sur ce sujet-là, parce qu'il faut expliquer aux gens ce qui se passe, et il faut expliquer aux gens la réalité de ce qu'est l'élevage aujourd'hui et de ce qu'est la pêche aujourd'hui. C'est non seulement, l’élevage, un secteur qui dégage 14 % des émissions de gaz à effet de serre du monde, c'est énorme. C'est le premier facteur de déforestation, notamment en Amazonie. C'est le premier facteur de perte de biodiversité au niveau des insectes, avec l'usage des pesticides sachant qu’entre 70 et 80 % des sols agricoles dans le monde sont destinés aux animaux d'élevage. 

Donc, en fait, une fois qu'on prend conscience de tout ça, on se dit qu'il faut agir et qu'il faut faire quelque chose. Ça passe pas forcément par devenir végétarien, d'ailleurs, c'est ce que je dis dans mon livre. Je pourrais être végan. Je suis pas encore végan, je suis végétarien. Ça passe par simplement réduire sa consommation aussi. Et moi, je pense que le message qu'on doit passer, c'est celui que j’essaye de passer, c'est celui-ci : il vaut mieux avoir des millions de gens qui réduisent de manière importante leur consommation que quelques milliers de végans. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Absolument.  

 

HUGO CLÉMENT : En termes d'impact sur les animaux, en termes d'impact sur nos écosystèmes, c'est beaucoup plus efficace. 

Et donc, j’essaye d'être dans la bienveillance et dans l'information, parce qu'une fois qu'on sait, une fois qu'on sait comment ça se passe… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : On est conscient du choix qu'on fait. 

 

HUGO CLÉMENT : Exactement. On fait nos choix en connaissance de cause.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : On assume. 

 

HUGO CLÉMENT : Et il y a une formule d'Albert Einstein que j'aime bien, qui dit : "Ceux qui ont la chance de savoir ont le devoir d'agir." Voilà ! 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : C’est une très belle formule. 

 

HUGO CLÉMENT : Je sais plus si c'est exactement ça, mais en gros c'est ça l'idée : ceux qui ont la chance de savoir ont le devoir d'agir. Et je trouve que ça résume bien l'approche que j’essaye d'avoir sur ces questions-là. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Pour autant, cette cause, elle est loin d'être mise en œuvre par la plupart d'entre nous, j'allais dire, et des personnes. Pourquoi ? Alors qu'est-ce qui manque dans soit cette prise de conscience, soit ce passage à l'action, comme toi tu l'as eu, pour généraliser la tendance ? Parce que j'ai même cru comprendre, il y a 3 semaines, je sais plus, que la consommation de viande avait encore augmenté de 3 % en France. 

 

HUGO CLÉMENT : Oui, en fait, la consommation de bœuf diminue, mais la consommation de poulet augmente.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Donc, c’est l’ensemble… La balance, globalement. 

 

HUGO CLÉMENT : Ce qui manque… Il y a plusieurs choses. C'est ce que Romain Espinoza, qui est chercheur en économie au CNRS, qui travaille sur la question animale, évoque comme étant le paradoxe de l'exploitation animale. Qu'est-ce que c'est, ce paradoxe ? C'est que d'un côté, si vous demandez aux gens dans la rue, "Est-ce que vous êtes pour ou contre faire du mal aux animaux ?", vous n'allez pas trouver beaucoup de gens qui vous disent, "Je suis pour faire du mal aux animaux." Si vous trouvez, peut-être qu’il faut appeler la police, parce qu’en général, c’est jamais bon signe. Donc, si vous trouvez quelqu'un qui revendique cette souffrance, éloignez-vous. Mais la plupart des gens sont contre faire du mal aux animaux.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Bien sûr ! Et pour autant ? 

 

HUGO CLÉMENT : Et pour autant, la plupart des gens participent à un système, à travers leurs actes de consommation, qui fait souffrir les animaux. L'élevage intensif fait souffrir les animaux... 

On tue 3 millions d'animaux par jour en France, 3 millions par jour. Donc, c'est énorme. La pêche détruit les écosystèmes, fait souffrir les poissons. Il n'y a aucune législation qui existe sur la souffrance des poissons, alors qu'on sait aujourd'hui qu'ils souffrent comme nous, qu'ils ressentent aussi la souffrance et que quand vous les remontez dans un filet, ils s'asphyxient. C'est comme si nous on se noyait. Donc, comment expliquer ce paradoxe ? Romain Espinoza explique qu'il y a plusieurs choses. Déjà, il y a l'ignorance sincère, c'est-à-dire qu’une bonne partie des gens ne savent pas ce qui se passe, ne savent pas comment ça se passe dans les élevages et ce qu’implique leur choix de consommation. Ensuite, il y a ce qu'on peut appeler la dissonance cognitive, c'est-à-dire une contradiction entre ce qu'on pense et ce qu'on fait. Et donc, on va essayer d'arranger un peu ce qu'on pense pour que ça colle avec ce qu'on fait. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Se conforter… 

 

HUGO CLÉMENT : Voilà ! Se conforter. Et puis après, il y a plein d'autres choses, on pourrait en parler très longtemps. Je peux évoquer notamment la question de l'empathie. Il y a deux types d'empathie, l'empathie émotionnelle, c'est-à-dire je ressens ce que tu ressens. Voilà, Jean-Philippe, si tu fais un malaise devant moi, bon bah, je vais appeler les pompiers, je vais te mettre en position latérale de sécurité, je vais te mettre un peu d'eau sur le front, parce que ta souffrance, ou en tout cas, ton mal-être va se transférer à moi. Ça, c'est l'empathie émotionnelle. Et puis ensuite, il y a l'empathie cognitive. Ce n'est pas je ressens ce que tu ressens, c'est je comprends ce que tu ressens, j'arrive à me mettre à ta place. Et ça, ça fonctionne avec les choses qu'on ne voit pas, et c'est évidemment beaucoup plus compliqué d'enclencher l'empathie cognitive que d’enclencher l'empathie émotionnelle. Si vous voyez un chien dans la rue qui souffre ou qui est en train d'être battu, vous allez intervenir. En revanche, de savoir qu'il y a un cochon qui est en train d'être égorgé en ce moment même, au moment où on se parle, dans un abattoir à côté de chez nous, on a du mal à se mettre à sa place et on a du mal à enclencher cette empathie-là. Donc ça, ça peut être une explication, et c'est pour ça que ça passe par ce que font les associations, de montrer les images, pour arriver à créer de l'empathie émotionnelle sur les choses qu'on ne voit pas, et activer cette empathie-là. Et puis ensuite, il y a aussi une forme, je pense, de discours d'un certain nombre de militants qui peut être un peu trop injonctif, et qui est du coup mal reçu par le public. C'est ce qu'on appelle l'effet de réactance. En France, on est très fort pour ça, c'est-à-dire que quand vous me demandez de faire quelque chose juste pour vous emmerder, je vais faire l'inverse, parce que j'ai l'impression que vous essayez d'attaquer ma liberté, voilà, que vous voulez me supprimer un choix. Et alors, le sentiment de perdre sa liberté… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Insupportable ! 

 

HUGO CLÉMENT : C'est tellement insupportable qu'on ferme les oreilles, on n'écoute plus les arguments, et on devient réfractaire, parce qu'on a le sentiment de se défendre et de défendre sa liberté. Et c'est pour ça qu'il faut éviter le discours trop injonctif. Il faut pas dire "Voilà ce que tu dois faire", il faut dire "Voilà comment ça se passe, voici les informations que j'ai à ma disposition", et tu choisis en âme et conscience. Et je pense que c'est beaucoup plus efficace.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Bon, ça reste un très gros sujet, et on va parler maintenant d'autres moments très forts, je pense, dans ta vie aussi, sur le terrain. Hugo, tu as connu en enquêtant des moments historiques comme la traque des auteurs de Charlie Hebdo ou le tremblement de terre au Népal, je crois, en 2015. Alors est-ce que ces moments-là, ou d'autres d'ailleurs, dont tu as parlé peut-être publiquement ou pas, t'ont marqué d'une manière, j'allais dire, décisive, c'est-à-dire, on a tous un petit peu, dans sa vie… C'est un des auteurs que j'ai sur ce podcast… Appelle en anglais, des [INDISCERNIBLE 00 :19 :27], des moments qui te façonnent, des moments très forts qui laissent une marque indélébile, dans qui tu es, ton identité, et ce que tu vas faire. Là, du coup, tu passes la partie cognitive et tu passes à l'action. Est-ce que tu as un moment comme ça que tu peux partager ? 

 

HUGO CLÉMENT : Oui, il y en a eu beaucoup. Après, effectivement, l'attaque du Bataclan et les attentats de Paris en novembre 2015, ça a été un moment très marquant pour moi. J'étais au Petit Journal à l'époque, et donc on a été parmi les premiers journalistes à arriver devant le Bataclan. On a fait toute une émission spéciale dessus, et ça a été un moment qui a été très difficile, très fort émotionnellement, et ça, ça m'a beaucoup marqué. Et c'est dans ce genre de moments aussi… Évidemment, il y a eu le séisme au Népal, il y a eu d'autres événements, mais c'est dans ce genre de moment, en fait, qu'on prend conscience que l'objectivité, pour moi, n'existe pas en fait chez les journalistes, parce qu’on n'est pas des robots, on n'est pas des machines, on est des êtres humains et évidemment, vous êtes influencé par les émotions que vous ressentez, vous êtes influencé par les gens que vous rencontrez, avec qui vous pouvez tisser des liens, que ce soit rapide ou sur le long terme, mais évidemment, vous êtes influencé par ce que vous êtes, par ce que vous pensez, par votre parcours personnel. Donc, ce serait malhonnête de dire aux gens "Nous sommes totalement objectifs et nous ne nous laissons jamais influencer par ce que nous sommes", c'est faux. En revanche, ce qu'il faut faire, c'est d'arriver à maîtriser sa subjectivité, d'arriver à faire en sorte que notre subjectivité ne déborde pas sur la manière dont on traite l'information. Et c'est pour ça que, pour moi, il ne s'agit pas d'être objectif, il s'agit d'être honnête. C'est très important. C'est de ne pas tordre la réalité, de ne pas modifier les faits pour qu'ils collent à ce que vous pensez, parce que là, c’est plus du journalisme, là, on est dans de la manipulation, on est dans du récit fictionnel, on n’est plus dans du journalisme. Mais tant que vous racontez factuellement ce qui se passe, que vous ne travestissez pas les faits, je pense qu'on peut assumer une part de subjectivité et qu'on peut dire que oui, sur tel ou tel sujet, effectivement, moi, quand je vais dans un élevage porcin, oui, je suis touché, oui, je suis peiné, oui, je suis émotif à cette idée-là, et évidemment, cette émotion va influencer la manière dont je vais raconter cette histoire. Et c'est plutôt sain, en fait, parce qu'on est des humains. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Donc, en fait, tu es un journaliste qui exprime ses émotions, qui les partagent. 

 

HUGO CLÉMENT : Oui, qui exprime ses émotions, en tout cas, qui ne les cachent pas et qui peut les assumer.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Qui explique ses choix quelque part. 

 

HUGO CLÉMENT : Qui explique ses choix et je pense que ce n'est pas du tout contradictoire avec la pratique d'un journalisme de qualité, d'un journalisme factuel, et que les deux peuvent très bien aller ensemble. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Je suis entièrement d'accord avec Hugo. L'idée que les journalistes devraient toujours être détachés et neutres, je pense, est une idée dépassée et fausse. À un moment où des catastrophes se produisent dans le monde ou face à une crise, les journalistes ne sont pas de simples observateurs neutres. Ils font partie de la réaction du monde extérieur. Ils sont un véritable canal de communication essentiel pour les efforts de secours et surtout pour la levée d'aide à ces personnes et à ces lieux. Le choix n'est donc pas entre des reportages distanciés et objectifs uniquement et l'empathie. Dans le journalisme, les pulsions émotionnelles et la volonté d'objectivité doivent converger. Les émotions alimentent la motivation des journalistes et stimulent aussi l'implication du public. Les émotions profondes suscitées par les tragédies peuvent inciter les journalistes à fouiller davantage leur sujet. Des reportages qui montrent la détresse et la fragilité émotionnelle des victimes attirent, bien entendu, l'attention du public et vont nous aider à ressentir cette empathie dont parlait Hugo et nous poussent à agir. 

Alors, dans ce podcast, Hugo, j'ai eu le plaisir d'accueillir un autre Hugo, d'ailleurs, journaliste… 

 

HUGO CLÉMENT : Hugo Décrypte ! 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Voilà ! Hugo Travers. Que tu connais, j'imagine.  

 

HUGO CLÉMENT : Que je connais bien et pour qui j'ai beaucoup d'admiration, parce qu'il a réussi à construire un truc super.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS: Ouais, on a eu de très bons échanges tous les deux. Et une chose dont on a parlé, bien sûr, c'est que l'information aujourd'hui, elle est disponible partout, sur les réseaux sociaux. On parlait justement de Chat GPT, de l'IA générative, et qu'il existe des milliers, voire des dizaines de milliers d'articles sur tous les sujets finalement, mais il reste encore difficile, finalement, pour les jeunes de trouver des informations indépendantes, des informations dites impartiales.  

 

HUGO CLÉMENT : On pourrait en parler de ça.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Ça on pourrait en parler. C'est quoi l’impartialité si elle existe dans ce monde, et exacts, ou en tout cas, qui ont un niveau de vérification sur l'intégrité des sources qui tiennent la route et qui correspondent à ces générations de jeunes, aussi dans la manière dont ils souhaitent s'informer. Alors, à ton avis, dans quelle mesure c'est un vrai problème, ce problème de cette information et de la qualité et de l'intégrité de cette information disponible pour la masse des personnes et les jeunes en particulier ? Et est-ce que, dans ton travail, ta mission que tu t'es donnée, finalement, tu t'assignes un niveau d'exigence, et lequel, pour y contribuer ? 

 

HUGO CLÉMENT : Je pense qu'on a déjà la chance de vivre dans un pays, la France, où on a une presse libre, et ça, quand on va dans d'autres pays où ce n'est pas le cas, on se rend compte que c'est quand même une chance. On a quand même un niveau global d'information qui est assez qualitatif, à mon sens, en France. On échappe globalement au phénomène de censure, on échappe au phénomène d'ultra-concentration. Évidemment, il y a une forme de concentration qui se met en place, mais on a quand même des médias publics, des médias privés, des médias indépendants. Tout le monde peut trouver son compte. À 20 h le soir à la télé, on a le choix entre mettre TF1, C8, TMC, Arte, France 5… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Ou arrêter sa télé aussi. 

 

HUGO CLÉMENT : Ou arrêter sa télé, ouvrir les réseaux sociaux, ouvrir les plateformes indépendantes. Donc, il y a quand même une offre qui existe, et ça, c'est une chance. 

Après, pour les questions qui me concernent, à savoir les questions environnementales, il y a un problème de place accordée à ces sujets. C'est-à-dire que, on continu, à mon sens, aujourd'hui, à donner une place très importante à des sujets qui sont un peu anecdotiques par rapport aux enjeux auxquels on fait face, et à donner une place trop peu importante aux sujets qui sont simplement des enjeux de survie pour notre espèce, à savoir le climat et la biodiversité. On en parle de plus en plus, on en parle de mieux en mieux, on en parle de plus en plus souvent, et ça, il faut le saluer, il faut saluer les efforts des médias qui font ces changements. Mais dans les mass médias, les médias qui touchent le plus de monde, ça reste quand même un sujet qui n'est pas le sujet majoritaire et qui n'est pas le sujet principal. 

 

Après, sur l'information et sur le danger des fausses informations et des informations mal sourcées, en fait, ce qui pose problème… C'est à la fois un problème et à la fois une chance, c'est qu'on a accès à tout, on a accès à tout, c'est-à-dire qu'il existe tout. Il existe des informations de bonne qualité, il existe des médias un peu complotistes qui racontent un peu n'importe quoi, et on a accès à tout. Donc, ce qu’il faut savoir faire, c’est faire le tri. Et là, moi, je veux rendre un peu justice aux jeunes générations, parce que ce que je constate autour de moi, c'est que ce n'est pas forcément les plus jeunes qui se font le plus avoir par les fausses informations.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : C’est un bon point ça. 

 

HUGO CLÉMENT : On l'a vu notamment pendant le Covid, on l'a vu notamment pendant d'autres actualités un peu chaudes, où parfois ce sont les gens de 50, 60 ans qui, justement, ne maîtrisent pas forcément les codes de la nouvelle information, des réseaux sociaux, qui ont parfois du mal à faire le tri entre ce qui est fiable ou pas, qui se font autant voire plus avoir que les jeunes. Donc on a souvent cette image du jeune qui croit tout ce qu'il lit, alors que ce n'est pas vrai, les jeunes ont plutôt tendance à avoir une forme de distance vis-à-vis de ce qu'ils voient sur les réseaux… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Un esprit critique aussi. 

 

HUGO CLÉMENT : Parce qu’ils connaissent les travers des réseaux. Et l’esprit critique !  

Donc, le danger, il existe pour toutes les générations, et c'est une question d'éducation. Il faut éduquer les gens aux médias, leur apprendre à identifier une source fiable d'une source plus contestée ou d'une source qui maîtrise moins ou qui vérifie moins ses informations, et ça, c'est compliqué, c'est pas facile. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : C'est compliqué. Et en même temps, probablement aussi d'être ouvert au fait d'écouter, de regarder différentes sources d'informations et médias très différents. 

 

HUGO CLÉMENT : D'arriver à sortir de sa bulle… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Parce que souvent, c'est un peu monolithique aussi, on a tous des routines, et on [INDISCERNIBLE 00 :27 :16] tel média, telle lecture… 

 

HUGO CLÉMENT : Et les réseaux sociaux accentuent ça. C'est-à-dire que la logique algorithmique des réseaux sociaux, et on le voit tous, moi j'ai que des vidéos qui arrivent sur mon fil sur l'environnement, les animaux, parce que je regarde ça, parce que j'interagis avec ça, et donc on me propose, et c'est logique… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Alors, comment tu fais pour lutter contre ça ? 

 

HUGO CLÉMENT : J’essaye d'aller suivre, parfois d’aller regarder ce que disent certains médias avec qui je ne partage pas la ligne éditoriale. J'essaye de sortir aussi de ma bulle. J'ai fait l'objet d'une polémique récemment parce que je suis allé débattre à Valeurs Actuelles, qui est un journal très à droite, avec Jordan Bardella, le président du Rassemblement National, avec qui je ne partage pas grand-chose politiquement, mais je trouve ça intéressant d'aller se confronter à des gens qui ne pensent pas comme vous… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Argumenter, un peu comme tu disais avec tes parents… 

 

HUGO CLÉMENT : Exactement, c’est l’essence même du débat, d’aller dans des lieux qui a priori vous sont hostiles ou en tout cas qui ne vous ressemblent pas et c'était le cas avec Valeurs Actuelles, et j'ai trouvé ça très enrichissant et très intéressant. Et je pense que c'est important de casser ces bulles, parce qu'effectivement, sinon, vous avez l'impression d'être dans un monde où tout le monde est d'accord avec vous, où tout le monde pense la même chose et vous avez une vision complètement déformée de la société. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : C’est la pensée unique.  

 

HUGO CLÉMENT : Exactement. C’est la pensée unique. Et sur les questions d’environnement, c'est particulièrement vrai. C'est-à-dire que quand vous êtes globalement CSP+, un cadre qui a des amis sensibles à la nature, qui mange équilibré et fait attention au bio, etc., vous avez l'impression que tout le monde est comme vous autour de vous, mais ce n'est pas du tout le cas. Le niveau d'information de la population générale sur les enjeux environnementaux est encore très, très loin de ce qu'il faudrait qu'il soit. Et donc, on prend des choses pour acquises qui ne le sont pas du tout pour la majorité des gens. Donc, il faut réussir à casser ces frontières-là, à sortir de sa bulle et à réussir à parler à tout le monde, surtout quand on est journaliste. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Justement, Hugo, tu es journaliste, mais tu es aussi entrepreneur, et en novembre 2022, tu as créé ta propre organisation média qui s'appelle Vakita. Alors, est-ce que c'est pour casser les codes, et d'abord, en commençant par le nom, pourquoi ce nom qui parait inhabituel ? D'où vient-il en fait ? 

 

HUGO CLÉMENT : Alors, Vakita ça vient d'un animal qui s'appelle le Vakita. C'est un petit cétacé, un marsouin, qu'on appelle aussi le marsouin du Pacifique, qui ressemble à un petit dauphin, mais en beaucoup plus petit, et qui vit uniquement dans la mer de Cortés, donc le golfe de Californie au Mexique, dans une toute petite zone, ça fait quelques dizaines, quelques centaines de km2. Il ne vit que là et il n'en reste qu'une dizaine. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Ouh là ! 10 ? 

 

HUGO CLÉMENT : Une dizaine en tout et pour tout, et encore certaines estimations plus pessimistes disent plutôt 5, 6. Donc, on est vraiment sur une espèce qui est au bord de l'extinction, qui malheureusement risque de disparaître à très court terme, mais qui en même temps symbolise l'espoir et la résistance parce qu’il y a notamment l'association Sea Shepherd qui mène des missions pour protéger les survivants, pour retirer les filets de l'eau, pour empêcher que les Vakitas soient tués par les filets. Donc, c'est à la fois un symbole de ce qu'on fait nous au monde, mais de ce qu'on peut aussi faire pour le défendre, essayer de le réparer et le préserver. Voilà, donc je trouvais que c'était quelque chose de symbolique et qui, en plus, sonne bien. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Alors, chez Vakita, vous êtes un petit groupe de journalistes, vous réalisez des enquêtes, mais ce qui vous démarque réellement, c’est la façon dont vous faites le lien entre ces enquêtes et puis surtout des actions très concrètes que les gens peuvent ensuite entreprendre par eux-mêmes.  

 

HUGO CLÉMENT : Oui. Tout à fait. Moi, j'avais une frustration, au début de ma carrière de journaliste quand j'ai commencé à travailler, c'était l'impression de subir l'information, non seulement moi, mais de faire subir cette information au téléspectateur ou au public, de parler de quelque chose de grave, de triste, parce que malheureusement, souvent notre métier nous amène à parler des choses qui ne vont pas bien.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Souvent. 

 

HUGO CLÉMENT : Il y a une fameuse expression qui dit "On ne parle pas des trains qui arrivent à l'heure, mais des trains qui arrivent en retard", et c'est assez vrai, et c'est normal. Et donc, on peut avoir le sentiment d'être impuissant, en fait, de se contenter de raconter ce qui se passe et puis, le lendemain, on passe à autre chose et puis, rien n'a changé. Et du coup, vous avez le sentiment, vous en tant que journaliste, en tout cas c'est moi le sentiment que j'avais, d'être de servir à rien, c'est-à-dire de donner des informations, mais au final, rien ne change. 

Avec Vakita, ce qu'on a essayé de faire, et ce que je fais aussi dans les émissions « Sur le Front » sur France 5, c'est de proposer aux gens des actions, de leur dire "Voilà le problème, et voilà une piste de solution." 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Est-ce que tu peux donner un exemple concret, récent, ou qui te tient à cœur, de pistes d'action que tu as lancées et qui a eu des échos et des réponses ? 

 

HUGO CLÉMENT : Un exemple très concret, on a fait une série documentaire sur l'histoire de Shaïna, qui est une jeune fille de 15 ans qui vivait à Creil, et qui malheureusement a été tuée par son ex-petit ami, en tout cas, son ex-petit ami est accusé de l'avoir tuée, de l'avoir brûlée vive, notamment pour des questions de réputation, parce que certains garçons lui avaient construit une réputation de fille facile. Donc, c'est une histoire tragique. On a enquêté sur cette histoire, on a rencontré ses parents, on les a suivis au long cours jusqu'au procès. On a tout fait pour mettre en lumière médiatiquement cette histoire, parce qu'ils n'avaient toujours pas de date de procès, trois ans après les faits. Depuis, il a été jugé il y a quelques jours, il a été condamné aux assises pour assassinat et condamné à 18 ans de prison. Et moi, je me sentais pas de me contenter juste de faire ça. Je savais que cette famille était en souffrance, évidemment, c'est inqualifiable ce qu'ils ont vécu et ce qu'ils vivent, mais ils étaient aussi en difficulté financière, parce que les parents n'arrivaient plus à travailler. Vous vous rendez compte, ils ont perdu leur fille dans un crime aussi atroce. Le grand frère de Shaïna, Yassine, qui est un gars assez incroyable, portait tout seul sur ses épaules la famille entière, y compris financièrement. Et ben, on s'est dit tout simplement, on va faire une cagnotte de solidarité, on va récolter de l'argent et on va les aider à traverser cette période, à essayer de se projeter sur l'avenir et à les sortir de cette mauvaise passe financière parce qu'évidemment, rien ne peut réparer la souffrance qu'ils ont, mais au moins les aider à aller de l'avant financièrement et à relâcher la pression qu'ils ont sur les épaules. Et on a récolté, je crois, en quelques jours, quasiment 50 000 euros pour cette famille, ce qui est énorme, ce qui va leur permettre de voir les mois qui viennent plus sereinement. Et voilà. Et certains journalistes vont vous dire "Tu es sorti de ton rôle, Hugo. C'est pas ton rôle de journaliste. Tu es censé informer et c'est pas à toi de récolter de l'argent, parce que tu sors de la neutralité, de l'objectivité." Évidemment, on crée des liens affectifs, on n'est pas objectif quand on parle de cette affaire. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Forcément.  

 

HUGO CLÉMENT : Moi, je pense que personne ne l’est.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : C’est profondément humain. Mais tu prends une action, quasiment aussi dans ce cas-là, dans cet exemple-là qui est un exemple tragique, évidemment horrible de presque associatif, j'allais dire.  

 

HUGO CLÉMENT : Bien sûr. C'est une forme d'action associative, mais je pense que ça peut aussi être le rôle de certains médias, pas forcément tous. Mais moi, c'est comme ça que je vois le rôle de Vakita. C'est de dire, on vous raconte cette histoire et si vous êtes touché par cette histoire, on vous propose d'agir concrètement. Et c'est du concret, quoi. Ça change la vie de cette famille, ça leur permet d'être plus sereins. Et au moins, après ce reportage, on a fait quelque chose de dispositif, on a changé les choses. On leur rend pas leur fille, on répare pas les souffrances, mais on apporte une petite pierre à l'édifice pour essayer que ces gens puissent se projeter dans l'avenir. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Tu leur donne un peu de résilience également.  

 

HUGO CLÉMENT : Exactement. Et j'ai pris cet exemple, je pourrais en prendre plein d'autres, notamment sur la question environnementale. Mais à chaque fois, on essaye de proposer quelque chose. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : La plupart des journalistes font leur métier afin d'aider les gens et de faire changer les choses. Hugo semble avoir trouvé le moyen d'y parvenir. Il est impossible de ne pas être ébranlé par sa conviction et son énergie. De nos jours, les équipes éditoriales sont noyées sous des chiffres dont chacun leur dit quelque chose de la façon dont les lecteurs interagissent avec leur travail. Mais que se passe-t-il une fois que les gens ont lu l'article ? Et s'ils ont de la chance, ont commenté l'article, l’ont partagé, ont peut-être même versé de l'argent pour soutenir leur action de journaliste. En fait, que se passe-t-il dans le monde réel ? Aujourd'hui, les salles de rédaction peuvent mesurer leur impact de différentes manières. Bien au-delà simplement de l'audience, bien sûr, et de l'engagement de cette audience, c'est l'argent recueilli, par exemple, pour aider une famille. Mais c'est aussi la transformation de politiques publiques, voire l'augmentation de financement alloué à tel ou tel problème. Il est vraiment important de faire apparaître les changements positifs que le journalisme a contribué à porter et de les montrer. Cela aidera à rétablir la confiance dans les informations et les journalistes, et d'une façon beaucoup plus claire que n'importe quelle campagne de marketing.  

Alors, on a parlé un petit peu ensemble, pour poursuivre un peu cette discussion du journalisme, de son évolution, tout à l'heure, de l'intégrité des informations, des fameuses fake news dont on parle, et à l'heure évidemment de cette IA, à la fois, j'allais dire, sous toutes ses formes [INDISCERNIBLE 00 :35 :52] multimodale, que ce soit les mots, que ce soit la vidéo, que ce soit la parole, la voix, on le voit dans le dernier Indiana Jones d'ailleurs, ce que ça peut faire… 

 

HUGO CLÉMENT : Que j’ai pas vu encore.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Non, je n'ai pas vu non plus, mais en fait bon, en gros, ils ont rajeuni Harrison Ford. On arrive à remettre des voix d'acteurs il y a des années aussi, ce film de Val Kilmer aussi sur sa vie. C'est à la fois effrayant, et d’un autre côté, c'est assez incroyable. Donc, c'est difficile de filtrer à la fois ces images, ce contenu et donc quelle est ta réflexion là-dessus en termes finalement de journalisme responsable, est-ce que ça peut exister ? Est-ce qu'il y a une forme de gouvernance du journalisme ? Parce que tu vois, on parle de l'IA. Alors moi, je travaille dans une grande société technologique, Microsoft, et on est au cœur de cette discussion avec les différentes administrations du monde entier, dans tous les pays, sur la gouvernance de l'IA, qui est quelque chose d'absolument nécessaire, on est totalement d'accord, parce que ce pouvoir, il ne doit pas appartenir à des sociétés, il doit appartenir à des États, des démocraties qui ont un point de vue là-dessus. Et justement, sur ce point de vue, il y a des préparations de textes en cours, notamment sur l'information également et la manière dont l'IA va agir cette information. Quel est ton point de vue, toi, en tant que professionnel de ce métier ?  

 

HUGO CLÉMENT : Moi, je suis pas du tout un expert de l'IA, donc je veux pas m'aventurer sur un terrain que je maîtrise pas, mais je pense qu'il ne faut pas avoir peur, par principe, d'une technologie. Le débat qu'on a avec l'IA aujourd'hui, on l'a eu aussi avec les réseaux sociaux quand ils sont apparus, sur le bouleversement de l'information et la multiplication des sources, etc. On l'a eu avec la TNT quand tout d'un coup, on est passé de quelques chaînes à des dizaines de chaînes. Donc, il ne faut pas avoir peur d'une technologie. Il faut s'assurer qu'elle ne déborde pas sur le fond du métier, parce qu’aujourd'hui, moi, ce que j'en ai vu, c'est que l'IA raconte aussi un peu n'importe quoi par moments. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : On peut halluciner… 

 

HUGO CLÉMENT : Elle peut inventer des citations, inventer des choses. Quand elle n'a pas de réponse, elle a tendance à en inventer, ce qui, d'un point de vue de l'information, pose évidemment beaucoup de problèmes. Et puis, je pense qu'il y a quelque chose que l'IA aura du mal à remplacer, c'est le travail de terrain qui, de fait, est un travail physique. Le journalisme, c'est avant tout du travail de terrain. Certes, il y a du journalisme écrit qui peut se faire depuis un bureau, en passant des coups de fil, mais l'essence même de ce métier, en tout cas celle que je défends, c'est d'aller sur le terrain.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Donc, toi, tu passes beaucoup de temps sur le terrain ? 

 

HUGO CLÉMENT : Moi, je passe beaucoup de temps sur le terrain, tout le temps en tournage, pour voir, pour enquêter, pour savoir ce qui se passe. Parce que c'est une chose d'être sur Google Maps, etc., c’est une autre chose d'aller vérifier, d'aller voir ce qui se passe. Et ça, pour l'instant, bon, l'IA ne peut pas remplacer ce travail-là qui est essentiel. Et voilà, encore une fois, comme je disais, il ne faut pas en avoir peur. Ça peut avoir un intérêt, ça peut accompagner aussi le journalisme. Ça peut peut-être accélérer certaines tâches qui n'étaient pas très qualitatives et pas très intéressantes pour les journalistes, leur permettre de dégager du temps sur autre chose. Donc pourquoi pas, mais c'est sûr qu'il faut l'encadrer. Et encore une fois, je connais très mal cette technologie, donc je ne suis pas du tout expert de tout ça.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Bon, la prochaine fois qu’on se revoit, tu me parleras de ton expérience avec Chat GPT à tes côtés. 

 

HUGO CLÉMENT : Il faut que j'essaye. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Pour t'aider et t’assister dans ton job pas pour le remplacer évidemment.  

 

HUGO CLÉMENT : Moi, je suis à l'ancienne, j'écris tous mes textes tout seul, tous mes livres tout seul. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : À la plume ? 

 

HUGO CLÉMENT : Non, sur l'ordinateur quand même, mais je n'ai jamais essayé d'avoir recours à l'IA pour l'instant.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : On en reparlera dans quelques mois ensemble. 

En fait, sur le front, tu parcours le monde, tu vas sur le terrain, comme tu dis, tu rencontres des hommes, des femmes qui luttent pour défendre la planète. On a parlé déjà de plusieurs causes importantes, notamment sur la cause animale et toutes ces implications santé, environnementales. Il y a également lié à cela, quelque part, toute la problématique de l'agriculture ou de réinventer l'agriculture. J'avais récemment d'ailleurs dans le podcast, Lucie Bash et on parlait de ça, parce qu’au-delà des gâchis alimentaires, évidemment où elle s'est embarquée en tant qu'entrepreneur à impact depuis des années à faire quelque chose qui a un très gros impact et qui grandit, elle se mobilise beaucoup, maintenant sur ce sujet-là, quel est ton point de vue et quels sont, justement, les témoignages de ton expérience terrain où tu allais voir des tas de choses au-delà des problèmes posés, sur peut-être des voies possibles sur cette nouvelle forme d'agriculture, entre guillemets responsable qui est un gros enjeu économique et social aussi.  

 

HUGO CLÉMENT : Bien sûr. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Pour toutes les personnes qui doivent en vivre, qui n’en vivent pas forcément d’ailleurs. 

 

HUGO CLÉMENT : Évidemment. En fait, ils existent déjà ces agriculteurs ou ces paysans, parce que beaucoup préfèrent qu'on utilise le terme paysan qu'agriculteurs. Il y a déjà des milliers d'hommes et de femmes en France et partout dans le monde qui mettent en pratique une agriculture respectueuse du vivant, qui utilisent peu ou pas de pesticides, qui s'appuient sur les haies, sur les arbres, sur ce que le sol peut apporter, sur la conservation du sol, etc. Donc, en fait, ces gens existent, c'est juste qu'ils sont pour l'instant minoritaires et puis surtout, ils sont écrasés aussi, et c'est la réalité, il faut le dire, par un lobby économique de gros agro-industriels, notamment représenté par la FNSEA qui est le syndicat agricole majoritaire, et qui défend un modèle basé sur les pesticides et sur la productivité, qui veut toujours plus, des exploitations toujours plus grosses et les petits paysans qui ont du mal à se faire entendre au niveau politique, ont du mal à obtenir les soutiens politiques, et que les décisions prises au niveau de l'Union européenne, comme au niveau de la France, favorisent systématiquement les plus gros agriculteurs. D'ailleurs, parfois, on peut se poser la question, est-ce que ce sont encore des fermes ? Est-ce que ce sont encore des exploitations agricoles, ou est-ce que c'est devenu une production industrielle ? Donc, de toute manière, on va pas avoir le choix, puisque ce système, il ne profite à personne. Il ne rend pas plus heureux les agriculteurs, c'est une des professions où il y a le taux de suicide le plus élevé. Il ne les rend pas plus riches, il ne les rend pas en meilleure santé, parce que les premières victimes des pesticides, ce sont les agriculteurs, ce sont les gens qui les manipulent. Et il y a énormément d'exemples dans le milieu agricole de gens qui, malheureusement, souffrent et meurent des pesticides, de l'exposition aux pesticides. Il ne rend pas service aux consommateurs, parce que les produits qui sont cultivés par l'agriculture industrielle ne sont pas de bonne qualité. Il ne rend pas service au sol, parce que l'exploitation intensive des sols détruit la vie, détruit la fertilité des sols. Il ne rend pas service pour l'érosion, puisque moins il y a d'arbres, moins il y a de haies, plus le sol fertile s'érode. Il ne rend service à personne, en fait, ce système-là, sauf à quelques industriels qui en profitent d'un point de vue économique. Et donc, à un moment donné, il faut qu'on se pose la question de savoir qu'est-ce qu'on veut ? Qu'est-ce qu'on veut ? Est-ce qu'on veut un modèle agricole qui nous permet de nous inscrire dans la durée, qui est compatible avec le changement climatique, qui est compatible avec les problèmes de biodiversité ? Ou est-ce qu'on veut un modèle agricole qui s'entête dans le modèle intensif, et qui, à terme, va détruire notre agriculture ? Parce que c'est ça qui est en train de se passer. Les rendements sont plafonnés, parfois même diminuent. On va avoir des problématiques d'eau, donc il y a certaines cultures qu'on ne va plus pouvoir faire, en tout cas plus de la même manière. Et il faut aussi voir pourquoi on cultive, pourquoi on cultive autant de terre et pourquoi on cultive autant de surface. On en revient à la question précédente, c'est pour l'élevage intensif, les premiers consommateurs de, enfin, peut-être pas les premiers, mais en tout cas une grosse source de consommation des céréales en France aujourd'hui, une très grosse part, c'est les animaux des élevages intensifs. Le blé, le maïs, le soja qu'on importe d'Amazonie est destiné très majoritairement aux animaux. Donc, il faut repenser ce système agricole, se recentrer sur les cultures vivrières dont l'homme a besoin, retrouver une souveraineté alimentaire aussi, parce qu'aujourd'hui, on s'est hyper-spécialisé dans certains domaines, notamment les céréales, mais aussi la production de viande et de lait en France. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Très dépendant sur le reste. 

 

HUGO CLÉMENT : En revanche, les fruits et légumes, on en importe 50 %. Sur les fruits, je crois que c'est même plus de 60 %. Donc on est dépendant de l'étranger pour des cultures qui sont indispensables à notre quotidien, alors qu'on exporte dans le même temps énormément de blé, énormément de maïs, énormément de viande, de lait. Il faut revenir à une production plus locale qui permet de nourrir les populations locales, et avec ce que la nature peut nous offrir, sans qu'on soit obligé de la tapisser de produits phytosanitaires tout au long de l'année. Et on ne peut pas mettre la responsabilité sur les agriculteurs, et ça je le dis, parce que souvent on nous reproche de faire de l'agribashing, etc. Les agriculteurs seuls ne peuvent pas changer ce système, c'est un choix de société qu'on doit faire. 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Un choix politique.  

 

HUGO CLÉMENT : Un choix politique. Il faut qu'on accepte, en tant que société, de mettre de l'argent sur la table pour aider les agriculteurs qui sont dans un système intensif à en sortir, à transformer, ça coûte de l'argent. Les haies, c'est bien joli, les haies c'est très utile, il en faut, mais ce sont les agriculteurs aujourd'hui qui les entretiennent, qui paient ces frais-là d'entretien, c'est pas forcément normal, alors que c'est toute la société, tout l’écosystème qui en profite. Donc, il faut aussi qu'on accepte, en tant que société, d'accompagner les agriculteurs, y compris financièrement, vers un système plus vertueux. C'est sûr qu’on ne peut pas les laisser en lançant des injonctions contradictoires, d'un côté débrouillez-vous pour être rentable et puis de l'autre débrouillez-vous pour être écolo, parce que souvent, ça rentre en conflit.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : On leur demande de porter cette très grosse responsabilité, évidemment. C'est un sujet gigantesque, et tu traites quand même un certain nombre de ces gros grands sujets, et on l'a vu tout à l'heure des sujets aussi dramatiques à titre personnel. Et on arrive vers la fin du podcast Hugo, malheureusement, le temps passe très vite, et j'aimerais te poser des questions plus personnelles finalement, parce que quand on vit intensément, et je le sens face à toi là, ce qui est bien, c’est qu’on n’est pas sur un écran, on est tous les deux dans la même salle, avec les émotions que tu ressens, dans les situations que tu as vécues, que tu continues de vivre au quotidien, et qui font que tu t'engages dans ce journalisme finalement de l'action. Comment tu arrives à conserver ton énergie positive, physiquement, émotionnellement, cognitivement aussi, tu en as parlé, la force de garder finalement un engagement positif pour faire changer les choses ? 

 

HUGO CLÉMENT : C'est le passage à l'action qui permet, je pense, de rester optimiste et de rester heureux. Quand on subit une situation, quand on a l'impression de pas pouvoir la changer, on se rend malheureux. Et donc moi, je pense que la solution pour rester heureux, optimiste et motivé, c'est de faire quelque chose. On a tous et toutes soit un peu de temps à donner, soit un peu d'argent, pour ceux qui n’ont pas de temps, pour soutenir les associations, pour agir concrètement sur le terrain, aux côtés des gens qui s'engagent, pour essayer de faire changer les lois, pour prendre quelques minutes avec son association à écrire des mails aux députés, pour leur demander de s'engager sur tel truc. Voilà, il y a plein, plein de choses à faire, d'engagements concrets qui apportent beaucoup d'espoir et beaucoup de bonheur. Je pense sincèrement que d'agir, ça apporte vraiment du bonheur, et ça permet de ne pas être dans le pessimisme. Et puis, après moi, les recettes pour être heureux et motivé, elles sont très simples. Elles sont d'aller me balader, aller marcher le long de la plage avec mes filles, aller en forêt, aller m'émerveiller devant une vallée en montagne où je peux regarder pendant une heure, à regarder la vue sans bouger. Enfin, je pense que les réponses, elles sont dans la nature, en fait. On fait partie de la nature. Souvent, on dit la nature, comme si c'était quelque chose d'extérieur à nous. C'est ce qu'on a tendance à faire, nous, l'homme. On met la nature loin de nous, on vit dans des villes où la nature est quasiment effacée et de retrouver, en fait, notre place dans cette nature parce qu'on a une place dans cette nature. Souvent, on reproche aux écolos de vouloir mettre la nature sous cloche et de dire qu’il y a les hommes d'un côté, la nature de l'autre et qu’il ne faut pas toucher la nature. Moi, ce n'est pas ma vision. On fait partie de la nature et ben d'y aller, d'y passer du temps… Alors, c'est pas toujours facile pour les gens qui sont en ville, etc., c'est compliqué, et ils n'ont pas forcément le temps ni les moyens de s'éloigner… 

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Oui, c’est des choix de vie aussi dans certains cas.  

 

HUGO CLÉMENT : Moi, j’ai fait le choix de vivre dans un endroit où il y a la nature accessible tout le temps, partout, parce que ça fait énormément de bien.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Ça te ressource et tu ressens… 

 

HUGO CLÉMENT : Ça me ressource, et puis la dernière chose, c'est que l'écologie, c'est rien d'autre pour moi qu'un combat pour le droit d'être heureux, le droit de boire de l'eau potable, de respirer un air qui ne nous rend pas malade, d'aller se promener en forêt quand on a besoin de se déstresser, d'envisager un avenir pour ses enfants. C'est le droit au bonheur, l'écologie, et je pense que les personnes engagées, les personnes sensibles à ces questions, ont le droit d'être heureux, et d'être heureuses, et il n'y a pas de raison qu’eux se minent le moral, pendant que ceux qui s'en fichent continuent à profiter de la vie. Et voilà, je pense qu'on a besoin d'avoir des gens engagés pour l'écologie, qui sont heureux et qui expliquent que ce qu'on veut, c'est un monde heureux, en fait. Voilà, et on peut être heureux un peu différemment, on peut être heureux pour s'assurer que ce bonheur dure longtemps et ne s'arrête pas dans quelques décennies, parce que notre planète va devenir invivable. Et puis, quand vous avez des enfants, je pense que c'est aussi un moteur d'engagement, on n'a pas le choix. Voilà, on est là, on est dans cette situation, on a hérité de cette situation, il faut qu'on essaye de faire ce qu'on peut pour la changer. Ça marche, ça marche pas, tant pis, on aura essayé, et on pourra se regarder dans la glace dans quelques années, et quand ma fille me demandera, "Qu'est-ce que tu as fait, papa ?", et ben je pourrais lui dire, "J'ai essayé de faire quelques trucs. J'aurais pu faire plus, mais j'ai au moins essayé quelque chose", et je pense que c'est vraiment important d'être dans cette démarche-là.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : J'aime beaucoup cette façon qu'a Hugo de personnifier le plaisir de faire son métier et de faire ce qu'il fait tous les jours de sa vie, c'est-à-dire finalement se battre pour apporter des changements positifs autour de lui. Je suis moi-même quelque part un petit peu militant, mais mon domaine d'activité va consister à faire grandir un état d'esprit positif au sein d'une nouvelle génération de leaders. En fait, il n'est pas nécessaire d'être le patron d'une grande entreprise, on peut avoir cet impact positif à tous niveaux, de toute organisation, dans un conseil municipal, dans une association, dans une entreprise à impact, en tant qu'agriculteur, ou dans bien d'autres rôles. C'est vraiment un état d'esprit qui fait le lien entre votre mission, votre raison d'être personnelle, et l'impact positif que vous pouvez avoir sur le monde, quel que soit le domaine que vous avez choisi dans votre vie.  

Tu as parlé tout à l'heure de journalisme à impact, donc on se rejoint, je crois, pas mal. Là-dessus, moi je rajoute le terme positif. Et ce que je ressens fortement, et tu l'as dit, et on en comprend les mécanismes d'ailleurs, c'est que l'information dans les médias quand même, se nourrit énormément de nouvelles tragiques, négatives, pessimistes, parce que notre cerveau fonctionne ainsi, on le sait tous, et que c'est le sentiment de peur qui fait que notre cerveau va se mobiliser et être plus attentif, malheureusement, que quand on leur présente des témoignages de gens qui sont à la fois heureux, qui font des choses incroyables et qui changent le monde. Alors, est-ce que tu as un peu d'optimisme pour ce journalisme pour qu’il y ait un peu plus de… 

 

HUGO CLÉMENT : Ouais, c’est ce qu’on essaye de faire et c'est vachement important effectivement d'arriver à montrer aussi les belles histoires et à montrer aussi, en fait surtout, les solutions, quoi. Parce que souvent, on a l'impression qu'on est face à un mur et qu'on ne sait pas quoi faire et qu'il n'y a pas de solution, mais si, il y a des solutions pour quasiment tous les problèmes auxquels on est confronté. On sait faire des bâtiments différemment, on sait construire de manière plus responsable, on sait faire de l'agriculture de manière plus responsable, on sait se déplacer en polluant moins, On sait faire tout ça, c'est juste qu'il faut faire passer ces solutions à l'échelle industrielle, à l'échelle macro, et pour ça, il faut les mettre en lumière, quoi. Ce que j'adore dans Sur le Front, c'est aller rencontrer les entrepreneurs, les industriels français qui se battent pour transformer une industrie. Récemment, j'étais avec l'ancien patron de Saint-Gobain, c’était un grand patron du CAC 40 et qui maintenant a lancé une start-up qui s'appelle Usage, où il fait du nettoyage d'emballages consignés. Voilà, une bouteille de verre, au lieu de l'acheter, ben il la récupère, il la nettoie, il la reremplit, ce qui permet de réduire vachement le volume de déchet. Moi, je trouve ça formidable, en fait, et je trouve qu'on devrait parler de ces gens tout le temps et dire, "Regardez, regardez ce qu'ils arrivent à faire !" Et il faut les accompagner, et c'est pareil pour les agriculteurs. Le nombre de gens incroyables que je rencontre qui trouvent des solutions pour réduire les produits phytosanitaires, pour avoir un impact positif sur leur environnement, j'ai envie de crier sur tous les toits, de dire, "Mais invitez-les dans toutes les émissions et parlons d'eux !" Et c'est le cas pour toutes les industries, et effectivement, c'est notre responsabilité de médias de les mettre plus en lumière.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Écoute, c'est fabuleux, et je ne manquerai pas de t'inviter du coup dans ma communauté associative qui s'appelle Live for Good où on a des centaines de ces entrepreneurs-là que l'on souhaite voir éclore et qui sont en train d'éclore avec des solutions très concrètes, à ces grands problèmes, enjeux et opportunités pour notre planète et nous tous. Un grand merci Hugo, ça a été un grand plaisir de te rencontrer pour ce super dialogue. Merci. 

 

HUGO CLÉMENT : Merci beaucoup.  

 

JEAN PHILIPPE COURTOIS : Vous écoutiez le podcast Positive Leadership avec Jean-Philippe Courtois. Si vous avez aimé cet épisode, merci de nous laisser un commentaire et une évaluation, et bien sûr, d'en parler autour de vous. Cela pourra aider beaucoup d'autres auditeurs à se joindre à ce mouvement du leadership positif. Nous avons enregistré plus de 55 épisodes en anglais et en français avec des leaders incroyables venus de tous les horizons, comme Pauline Laigneau, Clara [PH 00 :52 :51] Guila, Sal Khan, Adela Barbara Frédéricson, Jacques Attali. Si vous ne les avez pas encore écoutés, je vous invite à le faire très rapidement. Si vous souhaitez recevoir davantage de conseils et d'avis très pratiques, rendez-vous sur ma page LinkedIn au nom de Jean-Philippe Courtois pour vous inscrire à ma newsletter mensuelle Positive Leadership & you. Merci beaucoup pour votre attention. À la semaine prochaine. Au revoir.