Positive Leadership

[FR] Diriger comme un chef d'orchestre (avec Muriel Pénicaud)

April 10, 2024 Jean-Philippe Courtois Season 9 Episode 1
[FR] Diriger comme un chef d'orchestre (avec Muriel Pénicaud)
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[FR] Diriger comme un chef d'orchestre (avec Muriel Pénicaud)
Apr 10, 2024 Season 9 Episode 1
Jean-Philippe Courtois

Que veut dire "diriger comme un chef d'orchestre" ?

De Danone au Ministère du Travail, l'invitée de JP dans l'épisode de cette semaine du Positive Leadership podcast, Muriel Pénicaud est une chef d'entreprise, une diplomate et une politicienne hors pair, connue pour sa capacité à réunir le social et l'économique en une parfaite harmonie.

Écoutez le podcast.

Pour en savoir plus sur les invités mentionnés dans l'épisode de cette semaine, cliquez ici:

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Show Notes Transcript

Que veut dire "diriger comme un chef d'orchestre" ?

De Danone au Ministère du Travail, l'invitée de JP dans l'épisode de cette semaine du Positive Leadership podcast, Muriel Pénicaud est une chef d'entreprise, une diplomate et une politicienne hors pair, connue pour sa capacité à réunir le social et l'économique en une parfaite harmonie.

Écoutez le podcast.

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JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Bonjour et bienvenue dans Positive Leadership, le podcast qui vous aide à progresser en tant que personne, en tant que dirigeant et enfin en tant que citoyen au sens le plus large du terme.

MURIEL PÉNICAUD :  Je pense que je suis devenue chef d'orchestre un peu métaphoriquement…Pas musicalement. Parce que, oui, avoir un but à accomplir ensemble qui est une œuvre à jouer. Il faut avoir besoin de tous. Chacun est différent. Chacun a un instrument différent. Tout le monde a une valeur. Le gars au triangle et le gars ou la fille à la harpe ou à la batterie. Donc, je pense que cette idée que dans la différence, ensemble, on peut faire œuvre collective. Et pour ça, il y a une certaine forme de leadership qui permet de construire ça ensemble. Oui, je pense que d'une certaine façon, c'est toujours là. 


JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Mon invitée d'aujourd'hui, Muriel Pénicaud, est une chef d'entreprise, une diplomate et une femme politique qui a une vision de chef d'orchestre : ce sentiment intérieur d'être intuitivement, voire inconsciemment, connecté à ses partenaires, de leur donner ce dont ils ont besoin et d'obtenir ce dont on a besoin.  C'est cet art d'écouter et de réagir dans l'instant qui fait un orchestre brillant - et des équipes formidables au travail. 


Ancien ambassadeur auprès de l'Organisation de coopération et de développement économiques, Muriel a été aussi la première femme à être élue au comité exécutif de Danone, et a introduit le programme pionnier " Dan Cares " garantissant des soins de santé de qualité à tous ses employés. Plus tard, en tant que ministre du Travail en France, elle a mené une réforme majeure de la formation professionnelle, de l'apprentissage et du compte personnel de formation. Aujourd'hui, elle siège au conseil d'administration de Manpower de Galileo Global Education, et elle est à la présidence du CA d'AgroParis Tech. 

S'il y a un fil rouge qui traverse sa longue carrière, c'est bien comment on relie le social et l'économie. J'ai voulu en savoir plus sur les origines de son engagement et sur la manière dont elle garde clairement cette vision à l'esprit lorsqu'elle prend des décisions pour mener ses équipes vers le succès.  Il y a beaucoup à apprendre dans cette conversation. J'espère que vous l'apprécierez. Restez avec nous jusqu'à la fin.


Muriel, d'abord, on va démarrer par le tout début avec tes racines, commencer par comprendre un petit peu comment se sont forgées tes valeurs, et d'où vient aussi ton désir, je pense, d'avoir un impact positif. 


Tu as grandi au Chênet, en Île-de-France. Ton père était, je crois, conseiller financier, ta maman, femme au foyer. Alors, parle-nous un petit peu de tes parents, de leur influence sur tes valeurs, sur peut-être ce que tu es devenue, mais aussi peut-être tes toutes premières passions qui ont émergé pendant ton adolescence. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Alors, moi, je viens d'une large tribu. J'ai 95 cousins et cousines germaines. Donc si je ne parle que de mes parents, il y a quelque chose qu'on ne comprend pas dans la dynamique. Une famille avec des origines limousines, du Nord, et un peu Italiennes qui se sont retrouvées juste avant la Deuxième Guerre mondiale en région parisienne. Mais ça compte parce que mes parents étaient tous les deux septièmes de respectivement 9 et 11 enfants. Et nous, nous n'étions que 5… Prévu pour plus, mais comme ma maman a eu la tuberculose, elle n'a pas pu avoir autant d'enfants qu'elle voulait. Juste pour dire que le mode d'éducation dans ce type de famille, ce n'est pas l'attention à chacun dans le détail. Je ne voyais jamais mes parents seuls. Enfin, ça n'existait pas…

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Vous vous débrouilliez entre vous. Il y avait les responsabilités partagées…

 

MURIEL PÉNICAUD :  Mais le sens de la fratrie. Par exemple… La fratrie large… Est très fort, d'autant plus que nous, on a un de nos frères qui a un léger handicap. Et donc il y avait de la bienveillance, il y avait de l'ouverture, il y avait beaucoup de liberté et puis les libertés qu’on prenait. Donc pour moi, le grand collectif, ça ne me fait pas peur. Je pense que ça a commencé par ça. Quand ce n’est pas assez grand, je me dis, mais où ils sont ?

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Tu cherches ta tribu !

 

MURIEL PÉNICAUD :  Je cherche ma tribu et j’aime bien connecter des tribus différentes. La deuxième chose, c’est que ce n’était pas un monde où la création, l’art, étaient importants.

Mais par contre, il y avait des valeurs mesurées, modérées, on ne s'emportaient pas, on réfléchissait.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Comme lesquelles, par exemple ? Tu dirais des valeurs... 

 

MURIEL PÉNICAUD :  La bienveillance, à priori. Et une ouverture d'esprit, pas de colère. Plutôt quelque chose d'assez posé. Mais la personne la plus importante dans mon enfance a été ma grand-mère maternelle, puisque comme ma mère n'a pas pu nous élever quelques années...

Affectivement, ça a été... Et elle, elle était créative. Elle bousculait tout. Elle est née en 1893. Elle a été orpheline et elle a fait des tas de choses. Donc là, j'ai trouvé vraiment mon modèle qui est... On pousse les murs.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Alors justement, merci de me faciliter la transition. Dans ton livre, Poussez les murs, tu parles d'un moment charnière de ton enfance, je crois, quand tu avais environ 10 ans, et quand un prof a complètement rejeté ton idée de devenir, tout simplement, chef d'orchestre.

Quelle idée saugrenue… Comme quelque chose que les femmes ne font tout simplement pas, tu disais. Ce qui a dû être évidemment un moment très frustrant. Alors est-ce que c'est à ce moment que tu as réalisé que tu avais une bataille à mener, et d'ailleurs laquelle, et qu'il y avait des murs que tu devais abattre pour réaliser ton potentiel ? À 10 ans, parce que c'est pas très vieux quand même.

 

MURIEL PÉNICAUD :  Oui, à 10 ans, quand une professeure m'a dit, « Vous ne pourrez pas être chef d'orchestre parce que c'est impossible pour les femmes, » ça m'a révoltée. Pas tellement frustrée, mais révoltée. Abasourdie, puisque je ne m'étais pas aperçue avant qu'il y avait une différence entre les filles et les garçons dans le destin social. Révoltée, et ça a été le début de quelque chose, parce que du coup, je me suis mise à regarder, j'ai interrogé les femmes de la famille. C'est l'année où ma mère a eu le droit à son premier chéquier, à son compte en banque.

Je ne l'aurais peut-être pas perçu sinon. J’ai fait raconter leur vie à toutes les anciennes. Et puis après, je me suis intéressée au social. Et voilà, à 15 ans, j'étais déjà animatrice dans les bidonvilles avec des enfants en difficulté, et notamment à travers l'art. Je suis partie à la découverte de la société. Et mon engagement sociétal et social...

Je ne dis pas qu'il ne serait pas arrivé, mais il a été formidablement accéléré par cette révolte, cette incompréhension, et du coup, cette envie d'aller voir, de comprendre et de changer les choses. Et donc, à l'adolescence, j'étais déjà engagée dans plusieurs choses. Je lisais aussi énormément. Donc c'était toutes les religions. Et puis Marx, puis Freud, puis Mao, Bourdieu, etc. 

Enfin bon. J'ai été assez intense comme adolescente.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Toute jeune. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Toute jeune, parce que je voulais à la fois comprendre et puis clairement transformer.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Et donc ces murs, comme tu le dis, Muriel, ils ne s'arrêtent pas simplement au genre féminin et masculin. Tu parlais aussi d'accès aux bidonvilles et je pense plein d'autres sujets. On reparlera un petit peu plus tard de culture, parce que je sais que ça t'a suivi aussi visiblement avec ta grand-mère, mais bien au-delà, jusqu'à aujourd'hui. On en parlera un petit peu plus tard.

Mais aujourd'hui, évidemment, de nombreuses personnes se heurtent toujours à des obstacles. Les jeunes, par exemple, face à leur réussite future, à la formation, à la mobilité sociale.

Et on parle aujourd'hui, tu le sais, de grandes difficultés d'orientation des jeunes suite à leur BAC ou cycle secondaire. Ça reste encore une problématique.

En ce qui te concerne, je crois comprendre que tu as démarré par une Licence d'histoire, suivie par une maîtrise des sciences de l'éducation, un DE en psychologie clinique et également un diplôme de l'Institut européen d'administration des entreprises.

C'est tout simplement impressionnant. Alors, dans toutes les disciplines que tu as menées, est-ce qu'il y avait un fil conducteur – je sais pas – ou c'est une curiosité de ta part d'aller creuser, d'apprendre l'histoire, l'éducation, la psychologie, les affaires ? Pourquoi ? Pour faire quoi, finalement ?

 

MURIEL PÉNICAUD :  Alors, en fait, à 17 ans, je voulais changer le monde. C'est la génération, aussi. J'en faisais partie. J'avais 13 ans quand il y a eu mai 68. Et avec les copines, on a déclaré l'autogestion dans notre bahut.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Ah oui, carrément. Oui, d'accord. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  On avait déjà un peu d'entraînement. Et donc, je voulais être instit pour changer l'école. Mais j'étais trop jeune, parce que j'étais en avance. Donc, il fallait que je fasse autre chose. Évidemment, j'ai refusé d'aller en prépa, parce que, Bourdieux, Boudon, etc. Reproduction des élites sociales.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Pas question. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Même si, à l'époque, je n'avais pas du tout compris que pour les filles, c'était un trou de souris. Mais bon. 

Du coup, fac à Nanterre. Il faut être logique. Donc, je suis allée en fac à Nanterre, où j'ai étudié simultanément l'histoire pour comprendre et les sciences de l'éducation, avec mon idée de faire quelque chose dans l'éducation plus tard.

Et la psychoclinique, ça a été plus tard. J'ai fait mon DEA pendant que je travaillais, comme un outil de compréhension, d'approfondissement. Et puis l'INSEAD. Je l'ai fait, alors là, comme dirigeante en entreprise en anglais, avec tout l'aspect finance. Voilà. J'ai fait du plus classique, mais qui était très complémentaire.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  J’essaye de retrouver à nouveau… Mais on voit que c'était déjà très foisonnant entre tes études et les différents univers dans lesquels tu allais te plonger. Mais tu as commencé finalement ta carrière, si je ne me trompe pas, dans le service public. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Oui. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  En tant qu'administrateur régional, puis en tant que directeur de deux associations aussi, de jeunesse à but non lucratif. Alors, qu'est-ce que tu as retiré de cette première expérience de travail dans le secteur public ? 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Alors là, pour moi, je voulais aller vers l'intérêt général. Donc, commencer par le secteur public. Je voulais être indépendante économiquement très vite. Donc, pas question de faire des études longues ou plus exactement de les faire en travaillant. Et donc, ce que j'ai retiré, c'est évidemment l'idée qu'il y avait des choses qu'on pouvait changer, mais qu'il fallait en changer beaucoup pour pouvoir les changer. Mais surtout qu'en fait, il fallait prendre des responsabilités si on voulait changer plus de choses parce que j'ai commencé finalement par le bas de l'échelle. Et assez vite, je me suis aperçue qu'on n'avait pas assez de leviers. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  D'accord. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Et je pense que comme le saumon remonte la rivière, si je fais très court, j'ai commencé comme ça et c'est comme ça que je suis devenue dirigeante d'entreprise et ministre un jour. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  C'est une accélération, là, quand même. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Non, mais là, je raccourcis un peu le temps. Je n'avais pas du tout de but de ce type-là. Mais à chaque fois, je trouvais des gens avec qui innover. Et à chaque fois, on le faisait en partie et puis il y avait des choses qu'on ne pouvait pas faire avec autant d'impact, aussi grand, parce que d'autres qui s’en fichaient tenaient les verrous. Donc, ça m'a un peu motivée… 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Est-ce que tu as une anecdote, peut-être, de cette époque-là, dans tes premier rôles dans le secteur public, dans ce que tu faisais et sur lesquels tu as été, là aussi, soit frustrée, soit révoltée ? 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Les trois premiers mois, je travaillais au centre de formation des personnels communaux. Et j'avais écrit... J'étais toute jeune. J'étais arrivée depuis trois mois à un petit poste. Mais j'ai écrit une proposition de stratégie nationale. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Ah, carrément ! 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Parce que je voyais bien ce qu'il fallait faire. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Tu l’as envoyé au ministre, aussi ? 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Non, non. Je ne savais même pas que ça existait dans un paysage accessible. Et je l'ai donné à mon chef, qui a donné au chef, qui a donné au chef. Et au sixième niveau, le président du conseil d'administration a demandé à ce que je le présente au conseil d'administration.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Waouh ! Ça, c'était sacrément... 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Donc je me réjouissais. Et puis juste avant mon entrée, quelques minutes avant, il y a quand même des copines de la CFDT et LDRH qui m'ont dit « Fais gaffe, parce que ce gars, il saute toutes les jeunes qui arrivent et il fait des avances publiques et considère qu'il a le droit pour les jeunes recrues. » Voilà. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  C’est son droit… D'accord. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Et donc je présente mon truc. Et à la fin, le président, qui est un élu... Il est décédé, maintenant, un élu connu en France, dit « Écoutez, Muriel, c'est très bien, mais nous n'avons pas le temps d'en discuter maintenant. Et donc, venez à la sortie à mon bureau. On sera tranquilles tous les deux pour en parler. » 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Ouh là !

 

MURIEL PÉNICAUD :  Donc c'était très clair. Et donc sans réfléchir, je me suis levée. Et j'ai dit « Eh bien, Pierre... » Personne ne l'avait jamais appelé par son prénom. C'était M. le président. « Eh bien, Pierre, pas de problème, venez dans mon bureau et nous en parlerons quand vous voulez. » 

Je n’avais évidemment pas de bureau à lui donner. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Bien sûr. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Et je suis sortie en me disant « Ça y est, je suis virée. » 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Oui. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Il n'a pas osé. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Il n'a pas osé. Ah, c'est intéressant. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Il n'a pas osé parce que c'était public. Et deuxièmement, mon texte a été utilisé.

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  J'adore l’histoire de Muriel. Elle témoigne de sa profonde confiance en elle et de sa capacité à se défendre. Le fait de se défendre ne signifie pas que l'on est difficile ou que l'on argumente. Si quelqu'un ne respecte pas vos sentiments ou vos limites, c'est lui qui est en cause, pas vous. Lorsque vous êtes sûr de quelque chose vous devez le faire. Faire preuve d'assertivité vous aide à gagner en crédibilité en tant que leader. Il est très important d'acquérir suffisamment de courage pour pouvoir se défendre et, lorsque vous y parvenez, il est beaucoup plus facile de défendre quelqu'un d'autre.

 

MURIEL PÉNICAUD :  Et après, la mission locale des jeunes. Donc j'ai créé et dirigé une des trois premières missions locales. C'est Bertrand Schwartz qui était quelqu'un de formidable, qui était délégué interministériel, qui m'a repérée dans les agitateurs de terrain.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Il a vu ton mémo peut-être. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Et qui m'a proposé. Et c'est vrai qu'il m'a fait une confiance invraisemblable, parce que j'avais 26 ans et je dirigeais 30 personnes. Et on accueillait 2 000 jeunes.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Service public, c'est pas évident. Une promotion aussi rapide. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Donc, ce que je veux dire, c'est que j'ai une expérience du service public en disant qu'il y a quelques chemins de traverse là-dedans.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Tu les as trouvés rapidement. 

 

MURIEL PÉNICAUD :  Mais évidemment, après, j'ai été obligée de démissionner deux fois pour qu'on entende ce que je voulais dire. Enfin après, il a fallu se battre. Mais il y a quand même des gens formidables au sein de l'administration du service public. Il faut les repérer. Et ensemble, il faut faire bloc. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :  Oui, je pense qu'il y a vraiment des hommes et des femmes qui sont là essentiellement et surtout pour servir l'intérêt général, comme tu le dis. Ils sont remarquables. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et qui sont souvent empêchés. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ils ne sont pas toujours forcément aidés.

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors évidemment, je m’en suis rappelé après en me disant comment je fais pour les désempêcher. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Mais on reviendra tout à l'heure, bien sûr, sur tes missions les plus élevées dans le service public, Muriel, en tant que ministre. Mais là, on va basculer un petit peu dans ta période privée aussi, puisque tu es vraiment très éclectique. 

 

MURIEL PÉNICAUD : J'aime voir les choses à 360°.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Et c'est très bien. Ça te donne, de ce fait, des perspectives très variées, pas monolithiques. Et donc, tu as basculé dans le secteur privé à la fois chez Dassault Systèmes, Danone, où tu as passé 12 ans de ta vie professionnelle en tout, je crois. Et en 2008, tu es devenue, d'ailleurs, directrice générale des ressources humaines et de l'innovation sociétale et membre du comité exécutif de Danone. Tu as été la première femme à siéger au comité exécutif et il fallait y briser le fameux plafond de verre. Alors comment l'as-tu brisé ? Comment ça s'est passé ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Juste pour dire... Je reviens un instant sur l'éclectique. Donc j'ai été une quinzaine d'années dans le secteur public. Et à force de réglementer, encourager, pousser, etc., moi, j'ai eu envie de faire. Mais c'était toujours le même engagement. C'est comment on relie le social et l'économique. J'étais persuadée que c'était le fil rouge. Et on rajoute, bien sûr, l'écologie maintenant. C'était le fil rouge. Mais je voulais aller du côté de ceux qui font. Et c'est comme ça que je suis entrée dans l'entreprise. Donc en fait, c'est le même engagement sur d'autres terrains. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Les faiseurs, et pas simplement les agitateurs. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Voilà. Et pas simplement ceux qui encouragent, réglementent, etc., parce qu'ils sont utiles, mais j'avais envie de faire. Et donc oui, la première femme au ComEx, les deux fois, Dassault Systèmes et Danone, la première et seule. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Et seule. Tu es restée seule malgré tes fonctions ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Mais j'ai réussi. Mais ça a mis plus de temps. Maintenant, des deux côtés, il y en a plusieurs. Voilà. Mais il fallait le temps d'initier. Et je pense qu'il y a des moments, au niveau des postures, il ne faut pas hésiter toutes sortes de choses, y compris l'humour. Petite anecdote. Quand j'étais chez Danone, au comité exécutif, moi, mon mode principal, il est coopération, parce que je considère que la compétition, c'est à l'extérieur, la coopération, à l'intérieur. Mais ce n’est manifestement pas la compréhension de tout le monde. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ce n’est pas toujours le cas. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et donc, j'ai essayé de coopérer. Et un jour, Franck Riboud, qui était le patron de Danone, m'a dit, « Écoute, je ne comprends pas. T'es forte. Tu sais ce que tu veux, etc. Pourquoi tu coopères avec les autres ? » C'est un signe de faiblesse. Tout le monde se dit que c'est que t'as besoin des autres. Le côté faible...

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Franck Riboud disait ça ? Je suis surpris. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Il a changé. Il a beaucoup changé. Maintenant, il se marre quand je lui dis ça. Et alors là, je me dis, « Ah oui, il y a un truc qui... » Donc je fais une expérience. Et au ComEx suivant, je décide d'être en mode compétition et même agression, comme il faisait, avec un de mes collègues. Donc j’en choisis un qui était peut-être le moins coopératif, le moins ouvert au RH et je l'aligne proprement comme on dit, au sabre, je fais un peu d’arts martiaux.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : En plein comité exécutif. D'accord, oui. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et tu sais, les colères froides... Parce qu'elle était totalement simulée. Donc elles sont merveilleuses, parce qu'il n'y a rien qui déborde, mais c'est un... Voilà. Et donc tout le monde arrête de parler, effrayé. Et là, Franck sort. Il y en a une seule qui a des couilles ici, c'est Muriel. C'était un compliment.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, c'était un compliment. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et ça, être d'une famille nombreuse, j'avais le décodage. Donc j'ai éclaté de rire. Et après, tout le monde voulait coopérer avec moi. Mais vraiment. Parce que j'étais passée du côté des dominants. Dans les représentations un peu... 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Tu étais la femme dominante… 

 

MURIEL PÉNICAUD : Mais au bout de 3 mois, ça s'est effiloché. Parce que vieux réflexe. Alors, dans mon agenda, j'ai programmé tous les 3 mois un mystérieux FCC qui voulait dire « Faire colère en ComEx ». Et je l'ai fait et on a très bien coopéré. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ça, j'adore ça. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et après, Franck, il a été un soutien formidable. On a créé le mouvement Ève pour le leadership des femmes. Non, il a été formidable. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Super. C'est une belle anecdote. C'est une très belle histoire, ça. Je ne la connaissais pas. Mais je pense que peut-être elle a dû être suivie, je dirais malheureusement, par un certain nombre de femmes dans d'autres comités exécutifs pour se faire entendre aussi. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Il faut trouver un moyen, parce que c'est des schémas mentaux. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Tellement figés et préétablis. Alors j'aimerais que tu parles de l'initiative – je sais – dont tu es très fière, à juste titre, que tu as lancée chez Danone, Dan Cares, qui donne la priorité à la santé, au bien-être des employés. Et Danone est une entreprise, bien sûr, mondiale. Et environ – je crois – 70 % de ses employés vivent dans des pays émergents où les systèmes de santé sont souvent coûteux, voire même très difficiles d'accès, en fait. Et en 2010, sous ta direction, Danone a lancé le programme Dan Cares avec l'objectif de fournir à tous les employés une couverture médicale de qualité ou des risques majeurs. Et il s'agit d'un projet d'une ampleur assez considérable. Et je pense qu'à l'époque, il était totalement novateur. Alors, est-ce que tu peux nous expliquer comment ça s'est passé ? Est-ce que ça a été simple ou, bien sûr, j'imagine, pas un chemin tranquille pour que le comité exécutif voire le conseil d'administration valide un tel programme, en fait ?

 

MURIEL PÉNICAUD : Danone a historiquement, depuis Antoine Riboud, une conception sociale et économique, c'est ce qui s’appelle le double projet, très profonde et très enracinée. Et donc, quand je suis venue voir Franck et le ComEx en leur disant, « Écoutez, il y a quelque chose qui ne va pas, parce que nous, on fait de l'alimentation bonne pour la santé, etc., mais 70 % de nos salariés n'ont aucune couverture santé. Couverture maladie, couverture santé, couverture maternité. On n'est pas cohérent. Il faut créer un socle. Et là, j'ai eu le go avant même... J'ai eu le go. Le go de principe. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Avant même d'avoir un plan, de chiffrer, quoi que ce soit. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Bon, après, évidemment…

Et donc, du coup, on a travaillé. Et évidemment, avec les équipes, la difficulté, c'était comment faire ? Puisque dans les pays où il n'existe pas de couverture santé, de couverture sociale, sauf pour des cas de dirigeants, mais c'est des systèmes privés très différents, comment faire ? Et donc, on a, pays par pays, cherché des partenaires. Et on allait du côté des assureurs sur le thème, écoutez, ça ne sera pas un volume de marge, ce sera un volume de business qui vous assoira un volume dans ces pays. On a trouvé des partenaires. Tu connais bien ça, parce que tu es le faiseur de partenariats. Et c'est par les partenariats qu'on l'a fait. Et 90 000 personnes ont pu avoir une couverture. Ça a changé des vies. Alors, on ne s'est pas arrêté là. On s'est dit... Parce qu'au début, on l'a fait dans les pays volontaires, sans trop regarder l'aspect financier. Puis on s'est dit, bon, quand on va généraliser, ça va coûter très cher. Il faut être sûr. On était prêts à ce que ça coûte quelque chose, mais il faut qu'on mesure combien. Donc, avec les finances, on a mesuré dans tous les pays le ROI. L'impact. Et le ROI était positif. Le retour sur investissement était positif.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Comment vous le mesurez, alors, ce retour ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors, on a mesuré avec plusieurs critères. Il y en a qui sont faciles. La baisse de l'absentéisme. La baisse des accidents de travail, parce que les gens allaient au travail, malades. Déjà, ces deux-là, c'est très chiffrable. Mais on a divisé par deux. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ah, divisé par deux, carrément. C'était très notoire. 

 

MURIEL PÉNICAUD : C'était très important. Deuxièmement, on avait un système de mesure du taux d'engagement chaque année. Taux d'attractivité. On a mesuré tout ça et il y avait un ROI légèrement positif. Et la cerise sur le gâteau, c'est le jour où mon homologue des GRH d'un des autres grands groupes de l'alimentaire m'appelle en bon anglais et m'engueule en disant que c'est scandaleux ce que vous faites en Indonésie, qui était notre pays pilote. Et je lui dis, mais pourquoi ? Il me dit, vous faites du reverse social dumping. Je lui dis, mais vous devriez être très content, parce que si on est assez bête pour renchérir notre coût du travail, c'est bon pour vous. Il dit absolument pas. Tous nos ouvriers veulent partir chez Danone. Et les cadres aussi, parce qu'ils sont plus fiers. Je lui dis, écoutez, vous faites la même chose. On monte tous la même chose et c'est réglé. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : C'est ce qu'ils ont fait ? Ils ont suivi ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Eux, plus tard. Mais il y a très vite, tout de suite, L'Oréal. Et finalement, 300 groupes mondiaux ont suivi ce chemin. On a mis ça en place, ça a été répertorié par l'OIT. Et quand je suis devenue ministre, les partenaires sociaux mondiaux, des organisations mondiales, sont venus me voir en disant, comment on fait ? On se rappelle Dan Cares, donc, comment on fait pour pouvoir généraliser ? Il y a 4 milliards de personnes qui n'ont pas de couverture santé dans le monde. Comment on fait ? Et donc, on a fait la première négociation qui n'a jamais eu lieu au G7, entre le G7 et les partenaires sociaux. Évidemment, le G7 n'est pas décideur, mais ça implique une dynamique. Et le secrétaire général de l'ONU l'a repris il y a quelques mois. Ce n'est pas encore fait, le chemin est long. Mais une petite histoire bien menée a eu une répercussion. Mais c'est une répercussion collective. Le nombre de gens qui ont été impliqués, qui ont été mobilisés, qui se mobilisent, qui en sont fiers aujourd'hui. Pour moi, c'est joli ce qu'on a fait ensemble, ça valait la peine. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : C'est formidable de voir comment l'expérience d'une entreprise comme Danone a eu un effet amplificateur, qui s'est propagé. Et de voir tous les autres pays et tous les autres secteurs qui ont suivi son exemple. De la même manière que nous pensons à l'empreinte écologique, nous devons penser à l'empreinte sociale d'une entreprise. Il s'agit de cartographier l'impact social de l'entreprise et de ses filiales sur l'écosystème. Danone a été l'une des premières grandes entreprises au monde à s'engager dans le mouvement B Corp et vise la certification B Corp dans toutes ses unités commerciales mondiales d'ici à 2025.

J'aimerais, maintenant, que tu parles, parce que c'est un moment important de ta vie, ce n'est pas le seul, mais quand tu es arrivé au gouvernement en tant que ministre du Travail dès l'élection d'Emmanuel Macron en 2017, et que tu as rénové en profondeur le Code du Travail, avant de t'attaquer aussi à la formation professionnelle, à l'assurance chômage, ton deuxième grand chantier, la Loi Avenir Professionnel, a réformé l'apprentissage et la formation professionnelle, créé aussi un indice pour mesurer l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, et durcit les sanctions contre le travail détaché. Alors avec le recul, parce qu'il y a eu plein de réformes que tu as menées, et je sais de l'extérieur, parce que moi je n'ai jamais été à l'intérieur, que ce n'est pas simple de mener des réformes. On le voit bien en tant que citoyen, quand on est de l'autre côté, qu'on regarde, on se dit, va-t-on réformer ? Quelles sont les mesures dont tu es la plus fière en termes d'impact que tu as vu dans le temps, parce qu'il y a eu un moment où tu fais ces réformes, où ce n'est pas simple, et peut-être tu peux me dire une ou deux de ces réformes, en parler avec nous, et de dire quelles ont été ces grandes luttes que tu as dû mener, parce que je pense que ce n'est jamais simple de faire ça, et puis pourquoi tu en es la plus fière finalement ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Deux réformes dont vraiment les impacts positifs sont visibles, aujourd'hui, on récolte les fruits, et trois où on est à mi-chemin des fruits. Ce n'est pas que ça n'a pas marché, c'est que c'est plus long. Ça prend du temps. Les deux choses dont je suis très fière en termes de résultats visibles, c'est l'apprentissage et le compte personnel de formation. La réforme de l'apprentissage, on était en France, pour ceux qui connaissent la France, dans un pays où ça n'a jamais marché, et on disait que c'était bien pour les Allemands ou d'autres, mais ça ne marchera pas. Et on a pris le pari inverse. Moi, j'étais assez persuadée depuis longtemps, en travaillant sur le sujet de formation de capital humain, qu'il fallait faire une réforme de l'apprentissage. On a travaillé quatre mois avec les partenaires sociaux, avec les entreprises, avec l'ensemble des acteurs, et j'ai proposé à Emmanuel Macron et Édouard Philippe une réforme vraiment systémique. On a changé énormément toutes les règles de financement, les règles juridiques, la capacité des acteurs, entreprises, organismes de formation et jeunes à s'en saisir. On a vraiment fait un reset. J'étais persuadée que ça marcherait. Je ne pensais pas que ça allait marcher aussi vite, aussi fort, puisqu'on est passé de 230 000 à 830 000 jeunes en quatre ans, chaque année. Chaque année, avec des taux d'insertion durables de 75 %. C'est le meilleur des systèmes. Du CAP à l'ingénieur, c'est une particularité française. Et moi, encore aujourd'hui, on m'invite dans les CFA. Je suis devenue un peu la marraine de l'apprentissage. Et il y a des gens qui m'arrêtent dans la rue pour me remercier pour ça. Et ça, ça me touche parce que j'ai visité tellement de centres d'apprentis avec des jeunes qui ont la passion dans les yeux et qui font des métiers de leur choix. Et si on a une passion, c'est formidable. Tout s'ouvre. Donc ça, j'en suis très, très fière. Collectivement, encore une fois, j'étais la chef d'orchestre. Mais sans mon orchestre, j'aurais rien fait. Et il y a eu plein d'obstacles sur le terrain. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Le plus gros obstacle, ça a été quoi, en fait ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Menace politique. Appel à la démission des présidents de région, sauf Xavier Bertrand. Parce que dans la réforme, on leur retirait l'argent pour donner la liberté aux entreprises et aux organismes de formation. Donc, j'étais à abattre. Et certains m'ont expliqué que je n'étais pas une vraie politique parce que sinon, je savais très bien qu'il fallait se fâcher avec eux. 

Et moi, je leur répondais, écoutez, à 22 % de taux de chômage des jeunes, je pense que c'est une erreur politique de ne pas s'occuper des jeunes. Donc, celle-là, j'en suis très fière. Et l'autre, c'est le compte personnel de formation, qui est une innovation française et simultanément singapourienne, sans qu'on se soit concertés, parce qu'on a pensé la même chose en même temps. L'évolution des compétences allait être le grand défi demain pour les entreprises et pour les individus.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Et ça va ne faire que s'accélérer, on en reparlera dans quelques minutes. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Je ne développe pas pourquoi, mais je sais qu’on le partage... 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Il y a un bon levier de démarrage. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Donc il faut, bien sûr, que les entreprises agissent, les pouvoirs publics, mais il faut aussi équiper chacun, il faut empowerer chacun, il faut armer chacun, il faut que chacun puisse avoir du choix. Sinon, les gens seront juste victimes et pas en capacité de choisir leur vie. D'où le titre de la loi, la liberté de choisir son avenir professionnel. Donc on a ouvert ce droit en mutualisant l'argent qui vient des entreprises et 500 euros par personne pour chacun des 25 millions de salariés et d'indépendants en France. Et en ouvrant un système qui leur permet d'accéder à des dizaines et dizaines, même centaines de milliers de formations qui toutes préparent à un titre ou un diplôme. Sauf le permis de conduire que j'ai mis, parce que c'est le premier accès à l'emploi. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Je sais que ça paraissait étonnant, mais en fait il y a une très bonne justification, je te laisse la donner. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Beaucoup de gens n'ont pas les moyens de se payer le permis et c'est leur frein numéro un à l'emploi. Donc, on a rajouté le permis comme un titre professionnel. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Et tu as pu mesurer ça ensuite ? Le permis ou d'autres formations les plus... 

 

MURIEL PÉNICAUD : On a un peu de recul. D'abord, on m'avait dit, mais il n'y a que les cadres qui vont en formation, les autres n'ont pas d'appétence, il n'y aura personne, etc. Et bien sûr les 7 millions de Français qui l'ont déjà utilisé pour se former, d'abord 90 %, sont satisfaits des formations qu'ils ont faites et disent que ça les a aidés pour leur vie professionnelle, employabilité, promotion, changement de métier, changement de vie. Et puis 80 % sont des ouvriers ou des employés, 50 % sont des femmes et 20 % sont des seniors, c'est-à-dire tous ceux qui n'accèdent quasiment pas aux formations en entreprise. Donc le côté émancipation sociale et le côté élévation des compétences de la nation, à un moment donné où on est dans les choux, voir PISA. Alors, c'est encore très controversé puisque des gens disent que ça coûte cher, pourquoi on donne la liberté aux gens, on n'a qu'à leur dire ce qu'ils ont à faire. Moi je crois qu'une démocratie sans liberté ça ne marche pas. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Autonomiser les gens, absolument, les rendre responsables de leur futur, leur destinée. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et puis les trois qui ont marché, mais qui ne sont pas au bout, la réforme du Code du travail, sur la confiance que ça a créée, notamment chez les PME, ça a été immédiat. Moi j'allais partout en France et les entreprises disaient, mais ça y est on n'a plus peur d'embaucher, et d'ailleurs la baisse du chômage a été significative après. Par contre sur un autre aspect de cette réforme, qui donne plus de pouvoir de négociation dans l'entreprise et moins de règlements au plan national, c'est-à-dire d'aller plus vers les pays nordiques comme modèle, les cultures n’ont pas encore complètement changé, il y a plus d'accords, 20 % d'accord en plus, c'est déjà bien, mais on sent dans l'esprit qu’on n’y est pas encore. Sur l'égalité femmes-hommes, je suis très fière de ce qu'on a fait, là aussi, collectivement, de créer une obligation de résultat pour les entreprises, il y a un index pour le mesurer, l'index égalité pro, et je dis qu'on est à mi-chemin, on a été à 82 points sur 100 en moyenne, on est monté à 88 en 4 ans, mais l'égalité réelle, c'est 100. Je suis contente du chemin parcouru, mais je pense qu'il faut mettre des accélérateurs. Et puis sur l'inclusion, on a fait beaucoup de choses sur l'accueil, faciliter l'accueil des personnes en situation de handicap, en situation sociale difficile, là aussi on a besoin que les entreprises… Il y a des entreprises très engagées sur ce sujet, et d'autres qui considèrent que non. Je considère que c'est positif, mais ça n'a pas encore changé complètement le paysage. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Justement, Muriel, on bascule volontairement, parce que c'est un peu ta vie, entre modèle public, modèle privé, si tu étais nommée demain CEO d'une grande entreprise du CAC 40, tu choisis laquelle, je ne te demande même pas de nous dire laquelle, mais bon, qu'est-ce que tu ferais pour que cette fameuse diversité, sous toutes ses couleurs d'ailleurs, homme-femme étant le premier niveau malheureusement un peu basique qu'on trouve comme mesure dans beaucoup d'entreprises, mais encore faut-il y arriver, mais tous les autres, tu as mentionné le handicap, il y en a plein d'autres, bien sûr. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Oui, les origines sociales, les origines ethniques. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Qu'est-ce que tu ferais en tant que CEO pour changer la donne et faire de cette entreprise quelle qu'elle soit, ‘le role model’ un petit peu des entreprises qui allient cette performance économique, sociale, environnementale, mais surtout cette partie diversité, mixité au sens plus large du terme. 

 

MURIEL PÉNICAUD : D'abord, je pense qu'aujourd'hui, on est aidé dans les entreprises par la demande des jeunes. Ils exigent de la cohérence, enfin on reparlera peut-être de ça… Ce qu'ils exigent, l'écologie, mais aussi de la diversité et de l'inclusion. C'est un critère, donc il faut s'appuyer là-dessus. Je pense qu'il y a pas mal d'entreprises, même si ce n'est pas la majorité, qui sont très engagées sur l'inclusion, mais c'est plutôt des décisions de direction générale, ce qui est bien. Sans ça, ça ne marche pas, ça ne suffit pas. Je pense que la vraie clé, c'est de pouvoir embarquer tout le monde à tous les niveaux. D'abord, plein de gens dans l'entreprise, quelle que soit l'entreprise, eux-mêmes sont confrontés à ça. Pour eux, pour l'entourage, pour leurs proches, leur vécu. Mais souvent, il y en a plein d'ailleurs qui sont militants dans des choses à côté, mais qui ne le disent pas. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Qui ne le disent pas au sein de leur entreprise. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors, ça peut être du mécénat de compétences, ça peut être participer à des projets, je pense qu'il faut faire des grands programmes impliquant les gens, parce que ça donnera de la fierté dans l'entreprise, de l'attachement à l'entreprise, et puis ça sera beaucoup plus efficace, parce qu'ils vont amener plein d'idées.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ça passe par quoi ? De la formation ?

 

MURIEL PÉNICAUD : Je pense que c'est de créer des programmes où ils peuvent participer, ceux qui veulent, sur un volontariat, et je suis sûre qu'il y en aurait énormément, et où c'est valorisé dans l'entreprise, et non pas caché. Je pense qu'il y a beaucoup de personnes aujourd'hui, les temps ont changé là-dessus, et c'est bien, qui ne veulent pas opposer ma vie professionnelle, ma vie de citoyen. Je suis une seule personne, et j'ai envie de tout faire à la fois. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Le mur chinois, il est en train de s'abattre. Petit à petit, pas totalement. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Pas complètement. Donc si on dit, dans l'entreprise, tu peux passer un jour par mois, pour participer à un projet, je suis sûre que ça ne diminuera pas la productivité, et je suis sûre que ça augmentera l'engagement. Et des projets y compris qui peuvent être proposés par des collectifs de salariés, je pense qu'on a un réservoir d'engagement, et au moment où tout le monde se plaint en disant, les gens ne sont plus engagés dans l'entreprise, il faut aussi que l'entreprise aille vers leur terrain d'engagement, si on veut que ça marche. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Les avantages des programmes de bénévolat d'entreprise bien conçus ont été clairement établis : Ils stimulent la productivité, augmentent l'engagement des employés et améliorent l'embauche et la fidélisation du personnel. Mais trop souvent, les programmes des entreprises ne sont pas à la hauteur.  Ils copient aveuglément ce que font les autres entreprises, donnent la priorité aux projets favoris des dirigeants ou font pression sur les employés pour qu'ils participent, rendant ainsi le bénévolat obligatoire. De telles erreurs diminuent la valeur des programmes pour l'entreprise, les employés et la société. Au contraire, les entreprises devraient donner la priorité au sens, équilibrer la structure descendante avec la passion ascendante, et chercher à impliquer une variété de parties prenantes dans leurs initiatives.

Alors, j'aimerais qu'on revienne à quelque chose qui te passionnait toute jeune, puisque tu disais que tu aurais aimé être enseignante, c'est l'éducation. Je sais que c'est un gros sujet, on a une passion commune aussi là-dessus. Et j'ai récemment parlé à Sal Khan, le créateur de la Khan Academy, sur ce podcast d'ailleurs, sur le but ultime de l'éducation, qui selon lui est de permettre aux gens d'avoir une vie heureuse et pleine de sens. J'aime beaucoup cette définition. Mais pour ce faire, nous devons évidemment aider tout le monde à acquérir des compétences dont chaque personne a besoin pour grandir, prospérer, dans une économie de plus en plus numérique, notamment. Et cela inclut le fait d'être un apprenant tout au long de sa vie. Il y a 20 ou 30 ans, une compétence technique, tu le sais mieux que moi, était considérée comme valable pendant 30 ans. Voilà, clairement, on prenait un métier... 

 

MURIEL PÉNICAUD : Chiffre de l'OCDE. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Voilà, tu connais ce chiffre. Cela signifiait donc qu'on avait des connaissances pendant la majeure partie de sa vie professionnelle. Aujourd'hui, en moyenne, une compétence technique est considérée comme valable deux ans, et bientôt ce sera huit mois. 

 

MURIEL PÉNICAUD : En tout cas, dans la Tech, je pense qu'on y est déjà. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, on y est déjà dans la Tech. En tout cas, dans notre secteur, ça semble aller dans cette direction-là. Alors, formation tout au long de la vie, intégrée à sa vie quotidienne, c'est quelque chose d'essentiel. Tu nous as parlé du compte personnel de formation, qui est un formidable outil pour aller dans cette direction-là. Maintenant, aujourd'hui, il y a aussi l'arrivée de l'intelligence artificielle. On en parle de temps en temps ensemble aussi, sous d'autres cieux. De grands modèles de langage, bien sûr, Chat GPT, Copilot de Microsoft. Alors, comment ressens-tu l'impact de l'IA générative sur la capacité des gens à suivre une formation tout au long de leur vie, finalement, à se réinventer ? Quel rôle pourrait-elle jouer, cette intelligence artificielle ? Est-ce que ce sera un rôle positif, ou es-tu très inquiète de ce rôle aussi ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : En fait, il y a deux choses. C'est que l'IA, comme transformateur du monde économique et sociétal, demande des besoins de formation et est en même temps un outil pour ça. Donc, transition écologique, démographie et IA vont changer complètement le monde du travail, sans compter le rapport au travail qui a changé. Mais du côté de l'usage de l'IA, je pense que si elle est bien maîtrisée pour éviter... Alors, on sait très bien tous les biais qui sont répertoriés. La question, c'est comment les réguler qui n'est pas très facile. Mais si on évite ces biais-là, ça peut être un outil. Je discutais récemment, par exemple, avec une association qui accompagne des enfants autistes. Ils utilisent déjà l'IA, parce que, comme la relation est compliquée, pour aller vers la relation, mais ça permet un détour personnalisé qui met en confiance. Voilà, juste un micro-exemple. D'ailleurs, je trouve que c'est intéressant de lier IA et écologie, parce que ça peut aider à l'accélération des solutions, mais IA et inclusion, pour la même raison. Donc, de toute façon, la vague, elle arrive. Donc, aux uns et aux autres, de l'utiliser aussi. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Comment bien la prendre ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Comment bien la prendre. Et puis, alors, dans l'éducation elle-même, chez Galileo Group Education, ou chez membres du board, en ce moment, ils font des expérimentations intéressantes. Alors, c'est de l'enseignement supérieur, mais on pourrait très bien faire ça au lycée aussi, où les jeunes, avant d'arriver au cours, ils vont voir la somme de ce que dit l'IA sur un sujet donné qu'ils vont étudier. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ils étudient en dialogue…

 

MURIEL PÉNICAUD : Ils l’étudient avant. Mais ce n'est pas la fin, c'est le début du parcours. Et ça, je trouve ça très astucieux. Parce qu'après, ils vont aller questionner. Alors, ils vont questionner les sources. Pourquoi ça résonne comme ça ? Et si on avait posé la question autrement, est-ce que ça serait autrement ? Et du coup, qu'est-ce qu'on en pense ? Il y a des débats critiques.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Et quel est le rôle de l'enseignant dans ce cadre-là ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Du coup, c'est l'animateur d'un débat de questionnement et de débat critique pour amener sa propre pensée. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : C'est vraiment développer l'esprit critique. 

 

MURIEL PÉNICAUD : C'est développer l'esprit critique. Et donc, ça peut devenir un outil d'apprentissage à un débat démocratique si on l’utilise comme ça. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Accéléré, mais démocratique aussi, avec des points de vue très différents. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Évidemment, si on remplace des profs en disant aux jeunes, débrouillez-vous avec l'IA, bon là, c'est n'importe quoi. La médiation humaine est essentielle. Et donc, je pense que c'est vraiment comment on invente ces usages. Et je pense qu'il faut, d'une certaine façon, faire appel à l'innovation technologique, mais en même temps, appel à l'innovation éducative et inclusive en utilisant l'IA, tout en l'abordant sur d'autres aspects qui sont peut-être dangereux sociétalement. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Non, je te rejoins tout à fait, Muriel. Bon, même si on n'en est qu'au début, mais ça va très vite. Je pense que toute approche, quels que soient les établissements d'enseignement, d'éducation primaire, secondaire, public comme privé que je vois dans le monde, qui associe d'abord l'ensemble des équipes pédagogiques, ce qu'on appelle un peu le back-office, l'encadrement, le parcours des étudiants, des jeunes à l'école, etc., et les enfants et leurs parents d'ailleurs aussi, je pense que ce serait important pour les petits notamment, va être essentiel dans la bonne intelligence d’appropriation de cet outil en tant que copilote et pas en autopilote. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Absolument. 

C'est un peu comme la finance. Bon serviteur, mauvais maître. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, exactement. Je pense qu'on se rejoint un petit peu sur la philosophie, en tout cas, du bon usage. Une autre chose qui a radicalement changé au cours des dernières années, en particulier sans doute depuis la pandémie, on s'en est bien aperçu, c'est notre relation au travail, le sens du travail dans nos vies. Je pense que tu l'as vu comme moi un peu partout. Moi, je l'ai vu dans le monde entier, aux États-Unis, on rencontre plein d'acteurs dans le monde entier comme toi aussi. Les recherches montrent que de plus en plus de personnes souhaitent travailler pour des entreprises qui ont d'abord une véritable mission, pas juste un beau slide, qui a des beaux mots, mais qui la sentent vivre, et dont la raison d'être s'aligne sur la leur finalement, entre leur raison d'être personnelle où ils trouvent une façon de s'accomplir. Donc, par conséquent, probablement, il faut repenser radicalement la façon dont on va définir les entreprises… Enfin radicalement… L'affaire évolue, en tout cas. Et je recevais il y a déjà quelque temps quelqu'un que tu dois connaître, peut-être, je ne sais pas, Hubert Joly. Peut-être que tu l'as sûrement rencontré, Hubert. Hubert, comme tu sais, maître de conférences à la Harvard Business School, ancien PDG de Best Buy. Et la clé, selon lui, est que les dirigeants poursuivent un objectif noble, je réutilise ces termes d'Hubert, mettre les gens au centre de l'entreprise et traiter le profit comme un résultat, pas comme un objectif. Alors, une grande question pour toi. Que penses-tu de l'évolution du rôle des entreprises ces 20 dernières années ? Tu as le droit de faire un raccourci, parce que 20 ans, c'est long.

 

MURIEL PÉNICAUD : Oui, en 22 secondes, c’est long. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, je sais. Un peu plus quand même, quelques minutes là-dessus. Dans leur engagement sociétal, qu'il soit environnemental, on a parlé de social, et gouvernance, les fameux ES et G. Est-ce un engagement… C'est un jugement qu'on dira au niveau un peu large, est-ce que c'est un engagement qu’on appelait anciennement RSE, qui va évoluer vers l'ESG, que tu juges cosmétique, marketing, ou bien est-ce que tu es convaincu que les temps ont changé, sont en train vraiment de changer, et que l'entreprise est en train d'assumer une responsabilité plus large, pas simplement financière, parce qu'il faut qu'elle persiste, qu'elle grandisse, et qu'elle puisse aussi rémunérer ses actionnaires, c'est une évidence, mais aussi qu'elle puisse assumer ses responsabilités environnementales et sociales. C'est une grosse question. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors moi, je pense qu'on commence à avoir, et qu'on va avoir un choc de deux modèles. Toi comme moi, on milite pour des entreprises, qui ont compris que l'humain est au cœur, et que c'est le potentiel, c'est le levier de création de valeur. Ce n'est pas juste un moyen interchangeable. Donc, l'individu et le collectif. Ce n'est pas que du management individuel, c'est aussi du management d'équipe. Antoine Riboud m'a beaucoup inspirée, c'est pour ça que j'avais rejoint Danone, qui s'appelait BSN à l'époque, parce qu'il disait déjà en 1972, un discours qui avait fait hurler le patronat français de l'époque, que les ressources de la planète sont limitées, donc il faut les régénérer…

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Il était visionnaire.

 

MURIEL PÉNICAUD : Et qu'on n'a qu'une vie, et donc on doit prendre soin du bien-être de chacun. Maintenant quand on se projette aujourd'hui, je vois moi une partie des entreprises, qui au-delà de l'aspect cosmétique, ou l'aspect normatif de la RSE, sont vraiment engagées. Alors, ça prend du temps, c'est compliqué, parce que la mise en cohérence est quand même compliquée. L'ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, disait à juste titre, il y a la tragédie des horizons. L'horizon social, écologique, économique et financier, n'est pas le même. Donc, c'est un art de piloter ces transformations…

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : D'accommoder des horizons tant différents. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Ce n'est pas facile. Mais quand même, elles y vont. Et d'autres qui sont presque dans le durcissement externe, et qui agitent les politiques là-dessus, on n'a qu’à voir aux États-Unis, selon les États, il y a des endroits où l'IVG va être interdite. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, totalement. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors que d'autres, c'est radicalement dans l'autre sens. Quand on voit la COP sur le climat, c'est pareil. Il y a un repartage des lignes, parce que pendant longtemps, il y avait l'entreprise dont juridiquement, l'objectif était le profit pour les actionnaires, mais qui quand même faisait aussi d'autres choses avec son environnement, ses territoires, ses parties prenantes. Gentiment, ça a évolué dans ce sens-là. Et maintenant aussi, parce qu'il y a les attentes des jeunes d'un côté, et des salariés, et parce que les normes se durcissent, du coup, il faut un peu choisir son camp quand même. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : De plus en plus, tu penses, c'est marqué ?

 

MURIEL PÉNICAUD : Je trouve que les débats sont plus forts, et je vois des tensions dans pas mal d'entreprises internationales. Certaines disent que ça va trop loin, il faut arrêter. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Il faut se recentrer. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et on repart à ce que c'était l'entreprise, un système de création de valeur. L'actionnaire est premier. OK, on peut traiter correctement les salariés, mais enfin bon, et on fait ce qu'on peut pour la planète. Mais enfin bon, c'est secondaire. Et d'autres qui disent, il faut radicalement changer de modèle. Hubert Joly qui dit, il faut mettre la préservation des ressources et le développement des personnes au sein. Moi, je fais partie du deuxième groupe, évidemment. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : C'est évident, oui. 

 

MURIEL PÉNICAUD : C'est évident. Mais je pense que, oui, ça va être une bataille qui se joue aussi bien au niveau des gouvernements que des entreprises et dont l'issue, je ne la connais pas. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : D'accord. Et tu sens que c'est une bagarre aussi, j'allais dire presque géopolitique, de continents, de pays, parce que c'est un des pays où il y a des différences, mais on voit que l'Union européenne a quand même un ADN assez marquée. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors là où c'est le plus cohérent, c'est l'Europe. Et c'est pour ça que j'ai un peu d'espoir, même si c'est extrêmement difficile de faire l'Europe. Mais c'est normal, c'est un acte volontaire de coopération de pays qui ne sont pas obligés de coopérer. Donc, c'est quand même un beau pari. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ça c'est de la collaboration. 

 

MURIEL PÉNICAUD : C'est de la collaboration. Mais enfin bon, plus rugueuse. Parce que si l'Europe arrive, par exemple, dans ce domaine-là, comme dans d'autres, à avoir des normes qui s'imposent, y compris à tout ce qui est entrant, par exemple des normes sur le plan social et environnemental, personne ne peut se passer de 500 millions de consommateurs, donc dans des stratégies mondiales. Si elle n'y arrive pas, ça va être très très chaotique. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Bon, il y a de l'espoir. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Tant qu'on est vivant, il y a toujours de l'espoir. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Non, mais je le partage avec toi. Alors, pour prolonger un peu cette discussion, Muriel, moi je suis assez convaincu que ce virage, ce changement qui se fait dans un certain nombre d'entreprises, de pays, sur cette responsabilité partagée de l'entreprise dans ces trois univers dont on vient de parler, c'est aussi le fait de personnalités, c'est aussi le fait d'un état d'esprit, de leadership, voire de fondateur de l'entreprise. Alors, c'est le cas de quelqu'un que je connais bien, je le sais parce qu'il a été dans le podcast aussi, Pierre Dubuc, cofondateur d'OpenClassroom, parce que c'est une très belle entreprise à mission. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Oui, je connais bien aussi. Je l’ai bien soutenu quand j'étais ministre. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Comme tu sais, belle entreprise à mission, vraiment un très beau flambeau. Je suis président de leur comité de mission maintenant, donc je vois de l'intérieur le travail qu'ils font et je trouve que c'est superbe. 80 %, je le dis parce que je suis fier pour ce qu'ils font, de leurs clients sont des publics dits fragiles quand même. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et beaucoup à travers le CPF. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Totalement, absolument. Et d'autres dispositifs de l'État…

 

MURIEL PÉNICAUD : D’autres dispositifs que j’ai mis en place aussi.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Et d'autres pays aussi, parce que maintenant, ils deviennent une entreprise globale, ce qui est très bien pour eux. Donc, les entreprises à mission, c'est un équivalent, mais tu vois qu'il y a des dirigeants, lui, il avait 13 ans avec Mathieu quand il a créé la boîte, et je suis convaincu que quand tu les observes, tu regardes leurs caractéristiques, qu'ils portent en eux ce qu'on appelle, c'est pas moi qui l’ai nommé ainsi, le leadership positif. Le leadership positif que j'étudie dans ce podcast, moi je l'apprends en vous écoutant les uns et les autres. 

 

MURIEL PÉNICAUD : En pratiquant aussi. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : J'essaye de pratiquer aussi parce que j'avoue que j'aime beaucoup, au sein de l'entreprise, puis aussi au sein de mon association et d'autres univers, parce que je pense qu'il y a de belles choses à faire avec les pouvoirs de les soft skills un petit peu de ce leadership positif. Alors, est-ce que tu partages ce point de vue, et est-ce que tu penses qu'il est nécessaire de développer, d'élever un nouveau type de leadership, et je parle pas que du monde de l'entreprise d'ailleurs, c'est aussi bien dans le monde politique, secteur public, associatif, etc., pour les années qui viennent, compte tenu des défis auxquels on est confrontés, dont on a parlé, et quels conseils donnerais-tu à certains de nos auditeurs qui sont peut-être sur le point d'assumer un rôle de leadership, quel qu'il soit ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors je pense d'abord que le leadership est en train d'évoluer et va évoluer sous deux effets. D'abord vraiment les attentes des jeunes. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui absolument. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Comme toi, je rencontre beaucoup de jeunes dans beaucoup de pays du monde. Alors sur le leadership, c'est encore plus unanime que sur le sens. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : C'est clair. 

 

MURIEL PÉNICAUD : C'est en clair, un leadership qui est top-down, autocratique, ça, ça ne passe plus du tout. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : On ne veut plus. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et plus, il y a une attente d'authenticité, c'est-à-dire le dirigeant doit incarner ce qu'il dit. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Vulnérable, authentique, être présent, approchable. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Donc vulnérable, approchable, présent, humain, sincère. Donc ça, c'est… 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : On en revient au mur lézardé, vie personnelle, professionnelle, dont tu parlais tout à l'heure aussi. C'est-à-dire qui partage, quel partage. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Sinon, il n'est pas audible. Donc ça, c'est quand même un gros changement. La deuxième, c'est qu'on lui demande moins d'être un boss et plus un coach. C'est-à-dire coach individuel et collectif pour faire grandir les équipes et les faire réussir ensemble. Donc, il n'est pas forcément le sachant. De toute façon, comme on l'a dit, plus personne ne sait. Donc pour demain, ça va trop vite. Donc ça tombe bien, il a un autre rôle. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, complètement. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Mais bon, il y a toute une génération de managers pour lesquels le passage de l'un à l'autre… 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Violent. 

 

MURIEL PÉNICAUD : C'est violent parce qu'ils perdent, eux, leur légitimité. Et ils ne savent pas forcément comment faire. Puis la troisième chose, c'est quand même le management de l'incertitude. Parce qu'Edgar Morin a une très jolie phrase que je ne vais paraphraser, mais qui disait, « L'avenir est une mer d'incertitude sur laquelle nous allons d'îlot en îlot pour se reposer de temps en temps. » Il dit ça encore mieux que ça, mais c'est à peu près ça. Et c'est certain qu'avec la vitesse, la transformation… Des transformations à la fois écologiques, IA et géopolitiques, démographiques, honnêtement, on ne sait pas ce qu'on ne sait pas, mais on sait qu'on ne le sait pas.

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : On sait vraiment qu'on ne sait pas. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Donc le risque, du coup, pour les leaders, c'est d'être totalement court-termistes en disant qu'il n'y a que l'agilité d'adaptation à court terme qui va compter, elle va compter, mais c'est de perdre la vision. Et la vision, c'est quand même ce qui façonne le monde, à condition de le mettre en acte après. Donc je pense que, du coup, pour les dirigeants… D'abord, on ne peut pas être dirigeant seul, il faut s'entourer, il faut discuter, il faut échanger, il faut accepter sa vulnérabilité, il faut réfléchir avec d'autres pour pouvoir se dire « On va prendre ce pari-là, dans ce contexte-là, OK. Peut-être qu'on se trompera, mais on corrigera. » 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : On fait ça ensemble, en tout cas. 

 

MURIEL PÉNICAUD : On le fait ensemble, mais c'est mieux que, du coup, je ne prends le pari de rien, je sais à court terme, eh bien je fais à court terme et je ne m’occupe pas du reste. Ce qui est une tentation. Donc voilà, il y a la sincérité, mais il y a aussi cette audace d'avoir une vision et une stratégie en acceptant l'incertitude. 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS :
J'aime ce tryptique de Muriels. Être authentique, être coach et être stratégique dans sa réflexion. Bien qu'elle demande du temps, des efforts et de l'engagement, la planification stratégique présente des avantages évidents. Elle crée une vision unifiée, permet de suivre les progrès réalisés et met l'organisation sur la voie de la réalisation de ses objectifs à long terme

Être coach, c'est pour moi une des valeurs très importantes. J'ai un épisode entier qui contient des conseils pratiques sur la façon dont vous pouvez devenir un leader qui ressemble davantage à un coach. Leçon 5 des 9 Powers of Positive Leadership - Coaching for Good. 

J'aimerais qu'on revienne, Muriel, sur cette phrase que tu as utilisée, le titre de ton premier livre, Pousser les murs. Comment chacune, chacun d'entre nous, peut-il pousser les murs ? Alors, comment des personnes ordinaires, qui ne sont pas dirigeants d'entreprises comme moi, ministres comme toi, dirigeantes, etc., peuvent commencer à avoir un impact en tant que citoyens, en tant qu'employés, dans leur vie ? Et qu’elle est selon toi, la meilleure façon pour eux de commencer à bâtir cet impact ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors, moi je l'ai vécu puisque j'ai été pendant très longtemps à des niveaux de responsabilité faibles et j'ai essayé avec d'autres d'avoir de l'impact. Mais je pense que le point positif aujourd'hui, on l'a dit, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui ne se résignent pas. Et moi j'ai été frappée quand j'étais ministre, je le suis encore aujourd'hui, j'ai sillonné la France tout le temps, toute la semaine j'étais sur le terrain et je voyais plein de gens qui se remontaient les manches, qui inventaient des trucs. OK, dire, on ne fait que ça, mais c'est énorme. Parce que c'est l'immense dynamique de tas de gens en mouvement, c'est énorme, même si ce n'est pas embrigadé dans un seul mouvement qui n'est plus à la mode du tout. Voilà, c'est un peu passé de mode ça. En fait, on est fort quand on fait quelque chose qui a du sens pour soi. Donc le plus important, c'est de choisir le terrain, on ne peut pas être dans tout… Le terrain sur lequel on veut aller, certains ça va être l'éducation, le handicap, l'écologie, le sport, l'art, peu importe. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Ce qui va résonner. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Ce qui fait… En résonance, parce que là aussi l'authenticité, ce n'est pas simplement une légitimité, c'est une force intérieure. Parce que lorsque c'est quelque chose qui est vraiment important pour soi, qui fait sens pour soi, d'abord on n'est plus convaincant, mais surtout les obstacles, les impossibilités, on les surmonte parce que c'est vital pour soi aussi, parce que ça a du sens. Donc moi je pense que le plus important, c'est seul et avec d'autres, de trouver un domaine d'engagement qui fait sens pour soi. Et évidemment là après, y aller en groupe. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Non, non, j'aime beaucoup cette... Et je dirais dans le leadership positif, c'est le premier cercle, c'est la psychologie positive qui parle de moi. On demande à chaque personne, quel que soit son âge, peu importe, quel que soit le rôle qu'a la personne, d'apprendre à se connaître et d'apprendre à essayer éventuellement de définir sa mission, sa raison d'être, son pourquoi, pourquoi on est là. Aujourd'hui et maintenant, pourquoi on est là et pourquoi on fait ce qu'on fait, pourquoi on passe toute cette énergie qu'on a, on l'espère positive, pour faire quoi ? Et si on démarre par ça déjà et qu'on arrive à analyser avec le regard des autres ses passions, ses forces... 

 

MURIEL PÉNICAUD : Et du coup, la confiance en soi aussi, parce qu'elle est liée à la passion. C'est pas juste le regard des autres, c'est le moteur interne, l'énergie interne que ça développe. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : 

On arrive presque à la fin, mais j'ai encore 2-3 questions à te poser quand même, parce que c'est passionnant. Bon, tu sièges, comme je l'ai dit déjà, à plusieurs conseils d'administration, dans Manpower Group, Galiléo Global Éducation. Tu l'as évoqué tout à l'heure, à l’heure où notre pays est rétrogradé dans le dernier classement en maths de PISA, où notre ministre de l'Éducation annonce un nouveau plan pour réagir. Quelle est ta vision, alors c'est une grande question aussi, pour l'éducation notamment, mais on va focaliser quand même, sur l'enseignement supérieur. Selon toi, que faut-il changer, s'il faut changer quelque chose, pour aligner finalement, ce que je pense profondément, des aspirations de la jeunesse qui ont énormément changé, par rapport au monde dans lequel on vit, et pas simplement en France, aux quatre coins du monde, et les opportunités qu'ils ont ou qu'ils n'ont plus, ou qu'elles n'ont plus demain. Ça passe par quoi ça ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors, je dirais et je vais revenir à l'enseignement supérieur, mais il faut surtout investir beaucoup sur le primaire et le collège aujourd'hui, l'équivalent de trois, quinze ans pour les autres pays. On a besoin de pilotes, il y a des écoles qui font autrement, par exemple Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani, ils ont créé l'école du domaine du possible, où les enfants, mais vraiment j'y suis allée plusieurs fois, le degré d'épanouissement des enfants, et comme par hasard, les résultats arrivent aussi au niveau scolaire classique, mais où chacun est important, on accepte la différence, on accepte les handicaps, on accepte les passions, et où la musique, la nature, tout est mobilisé, tout est mobilisable, parce qu'il y a à la fois l'intelligence analytique, l'intelligence sensible, et l'intelligence émotionnelle et relationnelle qui est développée. C'est un peu ce qui se passe en Finlande aussi. Donc je pense qu'il faut d'urgence, je pense que ça va plutôt dans la bonne direction, mais pouvoir mobiliser et aider le corps enseignant dans ce sens-là, parce que sinon on va avoir des générations d'enfants qui sont complètement dans les choux d'un point de vue niveau scientifique, écriture, lecture, très dangereux pour la démocratie, mais aussi qui sont un peu dans les choux sur le plan des aptitudes sociales et des aptitudes créatives qui vont être tellement vitales demain. Alors sur l'enseignement supérieur, je pense qu'aujourd'hui, on a d'abord besoin d'avoir une vitesse d'innovation qu'on arrive à avoir dans le secteur privé, mais beaucoup plus difficilement dans l'université publique. Elle en a besoin et il y en a qui ont envie de le faire. Donc il faut créer des cadres expérimentaux, des cadres d'innovation, et il faut permettre aux jeunes de l'enseignement supérieur à hybrider des parcours de deux façons, hybrider internationalement, Erasmus généralisé, si j'ose dire, y compris dans l'apprentissage, dans l'enseignement supérieur, dans l'apprentissage fait en enseignement supérieur, et puis l'autre, c'est l'hybridation des parcours. Par exemple, chez Galiléo, comme il y a des écoles de management, de business school, des écoles d'art et des écoles numériques, il y a des parcours, parce que pour quelqu'un qui va être demain à travailler dans une entreprise, avoir aussi pu développer une approche sensible et artistique ou digitale, ça va être essentiel pour comprendre le monde de demain. Donc je pense qu'il faut des choses, des cadres qui permettent des parcours beaucoup plus individualisés et où on accepte aussi, eh bien, ça se fait dans certaines écoles, dans certains cursus, mais pas partout. L'université a beaucoup de mal avec ça. Des gap years aller passer deux mois, six mois dans l'humanitaire, le sport, la culture, ou... 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Au début peut-être d'une entreprise… 

 

MURIEL PÉNICAUD : Ou créer une start-up, voilà. 

Donc ça, dans les écoles d'enseignement supérieur, c'est souvent possible, mais il faut que ça le soit dans l'université. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Dans l'université, absolument. Bon, c'est un gros sujet de toute façon. Alors, tu as parlé d'art à plusieurs reprises. Je sais que tu dévores les livres, littérature, mais pas seulement. Les arts ont joué un rôle important et continuent à jouer un rôle important dans ta vie. Tu es d'ailleurs une photographe passionnée, toi-même une grande photographe, parce que j'ai vu quelques-unes de tes œuvres, pas toutes, mais quelques-unes, et tu as exposé ton travail d'ailleurs à Paris, en Chine, au Japon. Et tu as dit d'ailleurs que l'un des aspects les plus difficiles de ton travail de ministre était de ne plus pouvoir exposer tes photographies à l'époque, mais maintenant, c'est révolu, ça, peut-être. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Le plus difficile, c’était les menaces de mort et d'assassinat sur les réseaux sociaux. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : On va en relativiser. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Mais le plus frustrant, ce qui n'est pas pareil. Oui, parce que quand on est photographié, c'est difficile de photographier, même si j'ai pris des photos de photographe. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Tu en as pris aussi. D'accord. Alors, aujourd'hui, tu as un peu plus de temps, quand même, même si tu as plein d'activités, bien sûr, mais je dirais que c'est un agenda un peu différent. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Mon temps est moins contraint, je le choisis. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, tu le choisis plus, exactement. Et tu as d'ailleurs créé déjà depuis 2012 un fonds philanthropique, Sakura, pour soutenir des artistes engagés sur des questions sociales et autres. Est-ce que tu peux nous dire pourquoi la photographie, le fonds Sakura, finalement l'art, on pourrait dire, en général, sont quelque chose d'essentiel pour toi et l'impact que tu souhaites obtenir par ce partage aussi culturel, personnel, mais aussi d'œuvres d'autres artistes. Qu'est-ce que tu recherches avec ça ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors, d'abord, ça revient à la question de l'engagement tout à l'heure. Il y a deux choses essentielles pour moi. Il y a cet engagement sociétal, socio-économique. Et puis, il y a la dimension création et art. Donc, d'abord, c'est juste partager quelque chose qui est important pour moi. Mais bien au-delà de ça, je pense justement qu'à toutes les périodes de l'humanité, et encore plus aux périodes charnières où ça se bouscule vraiment très violemment, ce qui est le cas aujourd'hui et qui va l'être encore plus dans les années qui viennent, on a besoin collectivement d'esprits libres qui ressentent plus fortement, qui pensent autrement, qui utilisent d'autres connexions, d'autres détours, d'autres anatomies…

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : D'autres connexions neuronales et d'autres associations. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Le cerveau ne fonctionne pas pareil. La sensibilité est exprimée en premier et pas en second, et avec, encore une fois, des autres modes d'appréhension du réel et du sensible. Et je dirais que moi, je rêve que tous les enfants soient artistes à 5 ans. Que tout le monde puisse développer, pas devenir des artistes professionnels, mais puisse développer quelque chose. Pourquoi ? Parce qu'on a vu d'abord que ça fait des connexions avec tout le reste. Poésie, maths et musique, c'est connu maintenant. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Oui, oui, ça marche bien. 

 

MURIEL PÉNICAUD :Donc, pour ces raisons-là, mais aussi parce qu'on va avoir besoin d'un tel effort d'imagination collective pour inventer de la suite que si tu n'exerces jamais ton imagination, sauf à consommer des choses qu'on te donne, mais tu n'exerces pas ta propre imagination dans des domaines professionnels, rationnels et logiques, tu n'apprendras le futur que passivement et pas en disant comment on pourrait faire autrement, comment on pourrait penser à autrement et comment on se relie les uns les autres. Et je trouve que, du coup, c'est toujours important, mais ce n'est pas que du supplément d’âme. Je pense que c'est un peu au cœur, essentiel. Et de toute façon, ça traverse toute l'histoire de l'humanité. Ça ne doit pas être un hasard. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Non, ce n'est pas un hasard. Alors, j'en viens malheureusement à ma dernière question. Et je finis sur une question que j'aime bien poser, de temps à autre, sur un livre. Je ne sais pas si tu l'as lu, mais ce n'est pas grave. Je vais te dire en deux minutes la synthèse de ce livre. Il s'appelle La seconde montagne de David Brooks. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Je ne l'ai pas lu. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : La seconde montagne, je te l'offrirai sinon. C'est un très beau livre. Alors, en substance, c'est quoi ? La première montagne, comme tu vas voir rapidement de quoi je veux parler, c'est celle qui symbolise les objectifs traditionnels du succès tels qu’on les a définis dans nos générations où on monte sur cette première montagne, on devient dirigeant d'entreprise, on devient ministre, on devient des choses incroyables. On bâtit une réputation, des fois de la richesse, du succès, une reconnaissance personnelle importante. Et puis, à un moment donné, et ça dépend de chaque personne, on entrevoit une deuxième montagne un peu plus loin. Cette deuxième montagne, elle représente un parcours qui est beaucoup plus orienté – tu en as parlé tout à l'heure du sens profond de sa vie, pourquoi on est là encore aujourd'hui, maintenant – et de ce que l'on peut accomplir au service des autres, finalement. Donc, dans ton cas, évidemment, tu as démarré déjà au service des autres. 

 

MURIEL PÉNICAUD : J’ai commencé par la deuxième montagne, avant la première. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Voilà, quelque part. Mais est-ce que tu peux nous décrire, toi, ta seconde montagne aujourd'hui ? Parce que, bien sûr, tu as déjà, dans ta vie, intégré ces composants, mais c'est quoi ? On a parlé un peu d'art, on a parlé de différentes choses que tu fais, mais qu'est-ce qui te motive à continuer à escalader cette seconde montagne ? 

 

MURIEL PÉNICAUD : Alors, oui. Moi, effectivement, j'ai plutôt commencé par la deuxième parce que j'ai rejeté la première. J’étais contre ce modèle. Et finalement, il est arrivé sur le tard, parce que c'était un moyen d'arriver à mes objectifs. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : Donc, tu es passée de la seconde à la première. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Enfin, j'ai fait les deux quand même. J'ai fait dans l'autre sens. Mais je pense que dans la troisième montagne, je ne sais pas si elle existe dans son livre, il y a deux sujets pour moi qui sont très importants dans l'avenir. Il y a le sujet de la transmission. C'est quoi la transmission dans un monde qui change ? Or, je suis persuadée que c'est quelque chose d'essentiel dans la vie. Ce n'est pas forcément la transmission volontaire. Quelquefois, on veut transmettre et ce n'est pas cela qu'on transmet. Mais nous, on a reçu d'autres. Et quand on sait reconnaître qu'on a reçu d'autres, qu'est-ce qui fait… C'est presque plus on prend qu'on donne. Mais du coup, c'est quoi la transmission ? Parce que je pense qu'on est à un âge et à un moment, et en plus où il faut se poser la question. Et la deuxième chose, c'est que moi, j'adore explorer des nouveaux mondes. Ça se voit un petit peu dans mon parcours. Et maintenant, c'est vrai qu'explorer comment, tout en continuant, les conférences, les conseils d'administration, mais ça, c'est presque le service après-vente. C'est la suite. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : J'ai compris. 

 

MURIEL PÉNICAUD : Ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas faire des choses nouvelles et intéressantes et importantes. Mais être plus dans le mode avec d'autres, de la création artistique et de voir comment, avec ça, ça peut bousculer des choses, ouvrir des choses. Voilà, ça m'intéresse vraiment de conjuguer…

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : De conjuguer cette culture artistique au sein de cette troisième montagne. Bon, écoute, Muriel, un immense merci pour cette ascension de trois montagnes, maintenant. 

 

MURIEL PÉNICAUD : On ne la fait pas seule l’ascension de trois montagnes. 

 

JEAN-PHILIPPE COURTOIS : C'était une conversation profondément enrichissante. Je suis très reconnaissant auprès de Muriel de nous avoir emmenés avec elle dans son voyage à travers non pas deux, mais trois montagnes. 

Un grand dirigeant, comme un grand chef d'orchestre, doit avoir une vision claire, être un communicateur efficace et encourager la collaboration. Muriel a réussi à faire cela dans de nombreux contextes différents, et je suis impatient de voir où son voyage la mènera ensuite. 

Je suis Jean Philippe Courtois. Vous avez écouté Positive Leadership.  Si vous souhaitez en savoir plus sur des femmes engagées comme Muriel Penicaud, je vous suggère les épisodes avec l'ancienne ministre à l'Egalité entre les femmes et les hommes Elisabeth Moreno et Lucie Basche, PDG de Too Good to Go, qui ont toutes deux des histoires passionnantes. 

Et si vous souhaitez en savoir plus sur le lancement d'une " mission d'entreprise ", jetez un coup d'œil à l'épisode de Pierre Dubuc co-founder et CEO of Open Classrooms..

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